Pour un nouveau concordat (mercredi, 03 décembre 2008)

 

- adresse aux Évêques de l’Église qui est en France -

 

par Jacques de Guillebon

 

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Allégorie du Concordat de 1801
Pierre Joseph Célestin François
 
 

Parler de concordat aujourd’hui, c’est encore la meilleure manière de s’attirer des ennuis. Alors, autant y aller gaiement. Cependant, nous sommes couverts : Benoît XVI n’a-t-il pas déclaré, à l’Élysée le 12 septembre dernier, que « le moment était venu de faire des propositions plus constructives », et n’était-ce pas du régime de la laïcité à la française qu’il parlait ?
Pourquoi notre époque de liberté de conscience, de liberté de religion et de liberté d’expression, s’interdit-elle systématiquement d’aborder certaines questions, sinon parce qu’elle a peur de subir les foudres de la dernière chose qu’elle craigne, la supposée réprobation publique ? (Nous ne disons pas précisément que nous sommes plus courageux que le reste, mais qu’il n’y a particulièrement pas de raison d’avoir peur en l’occurrence).
Nos évêques, s’il faut en croire ce que Monseigneur Dagens, du diocèse d’Angoulême (dont on ne voit pas d’ailleurs qu’il soit en rien le porte-parole ni de la Conférence des Évêques de l’Église qui est en France, ni a fortiori du catholicisme français dans son ensemble, pour ce sujet des relations de l’Église et de l’État), disait un jeudi soir dernier sur le plateau de la chaîne de télévision KTO, nos évêques donc s’accommoderaient parfaitement de leur rôle de figuration dans la société dite « multiculturelle » où nous vivons.
Leur raisonnement est sophistiquement astucieux : l’Église de France aurait, de son plein gré, non seulement accompagné, mais même depuis bien longtemps anticipé le mouvement de cette post-démocratie où plus rien ne doit valoir sinon comme équivalent. Ainsi, elle serait heureuse, l’Église qui est en France, puisqu’elle serait arrivée à ses fins. Tant qu’il n’y eut en France que des catholiques, ou du moins tant que l’État (monarchique) ne reconnut qu’eux, elle trôna à ses côtés, fière, glorieuse et digne. Mais dès que la liberté se répandit, que les choses se compliquèrent et que l’État (républicain) lui pria de regagner ses pénates, elle obtempéra, sans rechigner non plus, fière, et digne, et un peu moins glorieuse, de son effacement devant les avancées du temps (fussent-elles sanglantement totalitaires). Quand l’État est avec eux, ils obéissent ; quand l’État est contre eux, par contre ils obéissent, dirait ce cher Péguy.
La doctrine de l’Église qui est encore un peu en France est simple et fine comme un mot de Cocteau : « Puisque ces mystères demeurent, feignons d’en être l’organisateur ». Or, non seulement ce raisonnement est une insolence envers l’histoire, car rien ne s’est passé ainsi, mais  c’est encore une injure faite aux catholiques qui se sont battus de longues décennies à l’invitation de leurs évêques pour que l’Église catholique conserve en France sa primauté d’honneur, celle que lui confèrent ensemble son rôle incomparable dans l’édification de la nation, son statut de religion majoritaire (même relativement) et la puissance éducative de ses structures. « Enlevez un curé, vous aurez cent flics », répétait le cher Bernanos. Et cent assistantes sociales, et cent ONG, et cent imams salafistes, pourrait-on ajouter aujourd’hui. Tous personnages qui ne sont d’ailleurs pas méprisables, mais dont l’importance présente nous rappelle que la culture a horreur du vide. Entre nous, l’on entend rarement Mgr Dagens et ses compères les veilleurs (« episkopos ») réclamer la déconfessionnalisation des structures étatiques des pays islamiques.
Alors, posons-nous la question : cette laïcité-neutralité ressortit-elle du fameux adage gallican, « vérité en deçà de la Méditerranée, mensonge au-delà » ? Mais non, vous rétorquent-ils, pour notre part, nous nous concentrons simplement sur notre job, notre devoir d’état, ces campagnes françaises qui sont presque aussi désertes que nos églises un dimanche ordinaire.
Ils se révèlent ainsi pour ce qu’ils sont, des petits-bourgeois gestionnaires du désastre, des provinciaux madrés qui comptent et recomptent leurs dernières économies, avant l’inéluctable fin. Les biens temporels de l’Église, voilà ce qui les tarabuste, semblables en cela à nombre de leurs prédécesseurs commanditaires d’abbayes et concussionnaires, sinon qu’eux n’administrent plus que des miettes arrachées de justesse aux rats, quand les princes de l’Église d’Ancien Régime, qu’ils conspuent d’ordinaire en chœur, avaient au moins cette insolente splendeur humaine de régner sur le tiers de la Chrétienté. Ces grands seigneurs ne nous ont laissé que leurs métayers en héritage.
Sinon, comment accepteraient-ils que ce soit l’État français dont en apparence ils se défient de l’intrusion comme de la peste, qui entretienne toujours leurs églises (après les avoir, plus souvent qu’à son tour, pillées, profanées et réduites en cendres) ? Quelle honte n’ont-ils pas bue, et bue jusqu’à la lie, pour devoir remercier chaque jour la République d’avoir érigé au rang de patrimoine national leurs nefs vidées ? Tout d’un coup, ils font moins la fine bouche, nos thuriféraires de la séparation complète, de la laïcité sans reste.
Alors, demandons-nous : et si l’Église catholique elle-même, la catholicité avec sa foi, avec son espérance, avec sa charité, et avec ses quatre vertus cardinales encore, n’était pas aussi un patrimoine, non seulement de la France mais de l’humanité en son entier ? Et un patrimoine vivant que nul n’a le droit de laisser mourir ? N’ont-ils pas entendu Benoît XVI, ou ne l’ont-ils pas compris : il se peut que des pays d’ancienne chrétienté meurent et disparaissent, toujours de nouvelles terres surgiront pour accueillir la Parole du Christ ? Cela ne les effraie-t-il pas ? Ne se demandent-ils pas, au-delà de leur orgueil d’apprentis fonctionnaires si, maintenant que leur  incapacité à faire se perpétuer cet incroyable héritage de la douce terre chrétienne de France, dont l’on put dire en de certains siècles que Dieu et sa Mère y étaient plus heureux qu’ailleurs, est patente, s’il ne serait pas logique que l’État y supplée, que peut-être, si on le lui demandait gentiment, il serait même heureux de reconnaître enfin et de subventionner son culte, comme il se  passe d’ailleurs chez nos plus proches voisins germains, sans que cela empêche le moins du monde le libre exercice d’aucune religion, et si cela interdirait en rien de reconnaître et de financer d’autres cultes, à leur mesure, pour autant qu’ils ne contredisent pas frontalement les fondements anthropologiques de la France, qui sont ceux de l’Occident depuis Athènes et depuis Rome et qu’a consacrés la Déclaration universelle des droits de l’homme, après 1500 ans de chrétienté qui changèrent la face du monde ? Après tout, quand Napoléon érigea les règles du culte israélite en 1808, on vit un Grand Sanhédrin siéger pour débattre des éventuelles contradictions entre la loi juive et le droit français. La question fut vite résolue. Mais il est vrai que c’étaient des Juifs, et que c’était Bonaparte.
Il est certain que pour nos évêques, il est plus reposant de morigéner derrière leur pupitre dominical des ouailles déjà acquises à la contrition de leurs péchés (et Dieu sait qu’on leur en fait parfois porter plus que leur part, et qu’il est de certains pharisiens qui ont lié sur leur dos un faix trop lourd pour eux, et que souvent ces pharisiens ont aussi jeté la clef de la connaissance), que d’aller conquérir les cœurs des pécheurs abandonnés à la géhenne extérieure.
Mais une bonne fois pour toutes, qu’ils répondent : sont-ils venus pour les justes ? Je veux dire : sont-ils là pour organiser la fête paroissiale, ou sont-ils là pour gagner les cœurs à la Parole divine ? S’ils veulent véritablement s’engager dans l’éthique de la discussion propre à notre époque, qu’ils fourbissent alors leurs arguments, qu’on ne les voie plus s’avancer déjà vaincus à l’orée de toutes les batailles, et qu’ils se saisissent de tous les moyens à leur disposition, même légaux.
Qu’ils arrêtent de vouloir « faire Église » avec leurs trois dames patronnesses (dames admirables dans leur ordre), en buvant le verre de l’amitié autour d’un repas tiré du sac après la kermesse en l’honneur de la fin du Ramadan, et qu’ils aillent chercher, avec les dents comme d’autres la croissance, les chrétiens de demain qui sont déjà là, partout, autour, prêts à simplement aimer le Dieu qui libère, que souvent seule la veule niaiserie de nos prélats retient loin des eaux sanglantes du Salut que le Père ne cesse de déverser, par son Fils et dans l’Esprit, sur nos nuques bien roides.
Ces hommes d’Église français sont semblables à des adolescents épris que la peur d’un râteau retient tellement de se déclarer qu’ils feignent de se satisfaire de leur solitude. Un peu d’audace, sinon de courage, Messeigneurs ! Déclarez vous ! Et l’on verra ce qu’il adviendra, et Dieu pourvoira. Pardonnez-nous d’insister, nous autres pauvres laïcs, en cette matière sensiblement ecclésiale, mais puisque vous vous êtes doctement emparés de la préparation au mariage pour nous répéter, non sans raison, la grandeur et les bienfaits de l’engagement, souffrez que nous vous imposions cette courte propédeutique à vos noces retrouvées avec la société. Car l’Église-qui-est-en-France (« aqueu-elle-est-en-Fronce », dit l’un de mes amis  ecclésiastiques) qui, comme une divorcée a changé de nom, ressemble aujourd’hui à une femme mûre abandonnée à sa solitude, et ce sont ses enfants qui  doivent la consoler. Mais en retrouvant l’État, c’est plus qu’un mari, plus qu’un tuteur, plus qu’un appui pour l’organisation temporelle que vous retrouvez : c’est une famille, c’est un nouvel enfantement, et comme la vigne desséchée qu’on sarcle après l’hiver, vous porterez de nouveaux fruits, et vous bourgeonnerez encore, et vous serez lourde de votre postérité.
Alors, un nouveau concordat : chiche ? N’ayez pas peur, les Français ne vont pas vous manger, et quand même ils le feraient, vous en seriez sanctifiés.
 
 

 

 

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