Trentième anniversaire de la mort de Marthe Robin (dimanche, 06 février 2011)

 

Homélie de Mgr Luigi Ventura

Nonce apostolique

 

Châteauneuf de Galaure, 6 février 2011 

 

    Aujourd’hui, je suis heureux d’être à Châteauneuf avec vous, à l’aimable invitation du père Michon, que je remercie vivement. Mais si je regarde les circonstances qui, finalement, ont motivé ma réponse positive, je suis enclin à y voir un projet fixé à l’avance et auquel il ne m’a pas été permis de me soustraire. J’associe volontiers ce projet à la mission que le Saint-Père m’a confiée, celle d’être son représentant en France, et il me paraît particulièrement significatif que je sois à Châteauneuf, en son nom, pour célébrer le trentième anniversaire de la mort de Marthe Robin.

    MR.jpg On connaît bien, en effet, son grand amour et sa fidélité envers le Pape, et d’un autre côté on sait que les Papes tenaient en grande considération la profondeur spirituelle et mystique qui se dégageait de la vie de Marthe, paralysée et recluse dans une chambre.

     Je suis donc heureux de pouvoir célébrer avec vous cette Eucharistie. J’adresse mes salutations chaleureuses et fraternelles aux membres de la famille de Marthe et à tous les membres des Foyers de Charité, qui, présents dans 44 pays du monde, sont issus du zèle évangélique de Marthe et de la fidèle collaboration du père Georges Finet, et qui, tous, se rappellent que le 10 février est la date de leur naissance. C’est pour moi un honneur de les assurer de la proximité spirituelle et de l’affection du Pape Benoît XVI et de leur transmettre sa Bénédiction. Je suis certain, en retour, que je peux l’assurer, de votre fidélité et de l’aide de votre prière pour que, selon ses propres paroles au début de son pontificat, le Seigneur l’aide à être, en notre temps, « pasteur fidèle et courageux de son troupeau, toujours docile à l’inspiration de son Esprit » (30.5.2005).

     Le 6 février 1981, jour où le père Finet a trouvé Marthe inanimée au pied de son lit, était un vendredi, jour de la passion et de la mort de Jésus, ce même jour où, durant de nombreuses années, elle avait revécu dans son corps et dans son esprit les souffrances inexprimables du Seigneur crucifié.

     Trente ans plus tard, ce n’est pas par hasard, me semble-t-il, que nous rappelions ce jour un dimanche, jour du Seigneur, jour de la résurrection, jour de la lumière qui illumine l’obscurité de la tombe, jour de la vie qui triomphe sur la mort.

     Nous ne voulons pas et nous ne pouvons pas anticiper le jugement de l’Église, qui s’exprimera de la manière et dans le temps voulus par Dieu. Mais nous ne pouvons pas ne pas chercher à comprendre ce que le Seigneur a voulu nous dire par la vie de Marthe, une vie vraiment unique et extraordinaire, une vie de prière et de sacrifice offerte à Dieu sans rien demander en retour. Dans l’Eucharistie, le Seigneur se fait proche de nous, il assimile notre vie à la sienne, il nous invite à sa table, il veut que nous soyons tous saints et que nous participions à la plénitude de sa vie ; c’est pourquoi il continue à offrir le sacrifice de sa vie sur la croix, il pardonne nos péchés, il nous justifie, c’est-à-dire qu’il nous rend justes aux yeux de son Père.

     Dans la deuxième lecture de cette messe, que nous avons entendu tout à l’heure, et qui est tirée de la première lettre aux Corinthiens, saint Paul nous met sur la voie de la compréhension : « Je ne suis pas venu vous annoncer le mystère de Dieu avec le prestige du langage humain ou de la sagesse. Je n’ai rien voulu connaître d’autre que Jésus Christ, le Messie crucifié ». L’intelligence de Marthe, qui parlait aux enfants, aux gens simples, suscitant la curiosité et le questionnement des sages, provenait de la même source que celle de saint Paul : « Mon langage, ma proclamation de l’Évangile, n’avaient rien à voir avec un langage d’une sagesse qui veut convaincre ; mais c’est l’Esprit et sa puissance qui se manifestaient, pour que votre foi ne repose pas sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu ». C’est la folie de la croix, qui se confirme dans la logique de Dieu et de celui qui se conforme à sa volonté.

     Mgr Marchand, Évêque de Valence, accouru pour voir Marthe à la nouvelle de sa mort, puisa dans l’Évangile la clé de lecture du mystère qu’il avait devant lui et que nous arrivons peut-être nous-mêmes à mieux comprendre trente ans plus tard : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il donne beaucoup de fruit. Celui qui aime sa vie la perd ; celui qui s’en détache en ce monde la garde pour la vie éternelle » (Jn 12, 24-25).

     Au-delà des signes extraordinaires qui l’ont accompagnée – ils sont bien connus et je ne les rappellerai pas ici –, il nous reste l’image d’une vie qui paraît bien inutile aux yeux d’un monde distrait et superficiel (attentif surtout aux plaisirs éphémères du moment), mais qui en réalité s’est déroulée en union mystérieuse et profonde avec Dieu.

     MR3.jpgClouée à son lit, devenu l’autel de son offrande, Marthe a été une force dynamique de foi, de conversion et, bien que cela puisse paraître absurde, une source jaillissante de vie. Dans un corps qui, durant de nombreuses années, ne s’est nourri que de l’hostie consacrée et qui, à sa mort, pesait moins de trente kilos, s’est vérifié le paradoxe évangélique que nous trouvons énoncé également dans le passage de l’Évangile proclamé il y a quelques instants : « Vous êtes la lumière du monde… Que votre lumière brille devant les hommes : alors, en voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux » (Mt 5, 14. 16).

     Marthe a passé sa vie plongée dans l’obscurité, parce qu’elle ne pouvait supporter la lumière. Ceux qui lui rendaient visite ne pouvaient que difficilement entrevoir son visage, mais ses yeux presque éteints voyaient dans la profondeur des cœurs et ses lèvres sèches réussissaient, par de simples mots, à redonner courage à ceux qui se perdaient sur les routes obscures de leur vie. Son regard, empreint de la lumière et de la richesse de l’union avec Dieu, pénétrait au cœur des consciences, et il s’est prolongé au-delà de l’espace et du temps de son existence.

     Comment peut-on mesurer la richesse et l’abondance des fruits spirituels recueillis par les milliers de visiteurs qui viennent ici et ceux qui l’ont rencontrée ? Comment peut-on calculer les fruits provenant de ses visions prophétiques et de la détermination avec laquelle elle montrait les voies de la sainteté pour tous à travers l’Œuvre  des Foyers, formés sur le modèle des premières communautés chrétiennes, rassemblées autour de Marie, dans la foi des Apôtres, dans la fraction du pain et dans la charité fraternelle ? Ce lieu où nous sommes, qui conserve si vivante la mémoire de la présence de Marthe, fait résonner en nos cœurs les paroles de la Séquence bien connue de Pâques : « La mort et la vie s’affrontèrent en un duel prodigieux. Le Maître de la vie mourut ; vivant, il règne ».

     Dans la foi que nous célébrons en ce jour de dimanche, Pâques de la semaine, nous faisons mémoire de Marthe qui est morte, et en même temps nous savons qu’elle vit dans le Seigneur, auprès de cet Amour ardent dont elle a elle-même embrasé l’Église et autour duquel les fils de Dieu, régénérés dans le baptême, sont invités à se réunir et à se réchauffer. Je pense que, sans forcer le texte, nous pouvons reprendre, en la présente commémoration, quelques expressions du Pape Benoît XVI dans son message pour la Journée mondiale du Malade du 11 février prochain. 

     Se référant à sa visite pastorale à Turin et à la réflexion à laquelle il s’est livré devant le Saint Suaire, il écrit : “Ce visage douloureux nous invite à méditer sur Celui qui a pris sur lui la passion de l'homme de tous les temps et de tous lieux, avec nos souffrances aussi, nos difficultés et nos péchés... Le contempler est une invitation à réfléchir sur ce qu'écrit saint Pierre : “C'est par ses blessures que vous avez été guéris” (1 P 2, 24).

     Le Fils de Dieu a souffert, il est mort, mais il est ressuscité et c'est justement pour cela que ces plaies deviennent le signe de notre rédemption, du pardon et de la réconciliation avec le Père ; mais elles deviennent aussi un banc d'essai pour la foi des disciples et pour notre foi ; chaque fois que le Seigneur parle de sa passion et de sa mort, ils ne comprennent pas, ils refusent ils s’y opposent. Pour eux comme pour nous, la souffrance reste toujours lourde de mystère, difficile à accepter et à porter. Les deux disciples d'Emmaüs avancent tristement, à cause des événements survenus ces jours-là à Jérusalem, et c'est seulement quand le Ressuscité fait route avec eux qu'ils s'ouvrent à une vision nouvelle ». (cf. Lc 24, MR2.jpg13-31)

     Aujourd’hui, nous nous trouvons, pour ainsi dire, dans la maison de Marthe, un peu confus et peut-être déçus par nos rêves brisés ; mais avec elle nous regardons avec confiance le Crucifié et, comme les disciples d’Emmaüs, en rompant ensemble le pain, nous reprenons courage grâce à la présence du Seigneur ressuscité qui marche à nos côtés et reste avec nous.

     En conclusion, il me semble que nous pouvons reprendre encore une fois les paroles du Saint-Père et nous laisser guider par son invitation : « En ressuscitant, le Seigneur n'a pas ôté du monde la souffrance et le mal, mais il les a vaincus jusqu’à la racine. À la prédominance du Mal, il a opposé la toute-puissance de son Amour. Et il nous a montré alors que le chemin de la paix et de la joie, c'est l'Amour : “Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres" (Jn 13, 34). Le Christ, vainqueur de la mort, est vivant parmi nous ! Et tandis qu'avec saint Thomas nous disons nous aussi “Mon Seigneur et mon Dieu !”, suivons notre Maître en étant disposés à donner notre vie pour nos frères (cf. 1 Jn 3, 16) en devenant des messagers d'une joie qui ne craint pas la souffrance, la joie de la Résurrection » (Message pour la Journée mondiale du Malade 2011).

 

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