Trois ou quatre mots (mercredi, 08 mai 2013)

sur

la Fâtiha, le Notre Père et Platon

 

  par Jean-Marie Mathieu

 

 

                                                                                            À Charles Péguy

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Figure A [1]

 

             « Le fait que cette langue peut à tout moment 

être chargée de tant de sous-entendus

lui confère une richesse implicite infinie.» 

Heinz Wismann [2]

  

 

   Ses deux pieds, ses dix doigts de pieds et la plante de ses pieds aussi bien sûr, tout roides dans ses godillots militaires, réglementaires, très terre-à-terre, lacés à la régulière, au cuir bien brossé et ciré et bien souple et fort solide, aux semelles bien ferrées, bien cloutées, ses godillots aux talons joints, bien jointoyés, bien conjoints comme ceux d’un lieutenant au garde-à-vous (car v’là le général qui passe), mais aux deux bouts tournés au dehors en position quasi d’équerre, presqu’à l’équerre, d’une équerre qui serait (il s’en faut de trois et quatre millimètres) le parfait outil, l’équerre idéale du charpentier, de l’artisan voué, tout dévoué à édifier la forêt de Notre-Dame de Chartres, ce chef-d’œuvre de doulce France qu’il conviendra de toujours défendre bec et ongles. Et puis, un jour d’été finissant, ses godillots terreux, tout crottés, tout  bréneux, tout lassés, tout usés par les mouvements, les re-mouvements, les contre-mouvements de la troupe de fantassins qu’il commande (hé  ! Malbrouck ! c’est la guerre, à la guerre comme à la guerre) à travers les champs de chaumes, de betteraves et d’épis d’avoine non mûrs, d’épis non moissonnés, pas encore assez mûrs pour la moisson, pour la ration des hommes. Quand, sans crier gare, une balle surgit qui vient trouer son noble front, faisant éclore sur son beau front de penseur catholique, sur son front de baptisé pas peu fier de sa race, faisant éclore sur son clair fronton de merveilleux poète une rose soudaine tout frangée de sang[3]. Couché sur la terre, ses deux pieds vers le ciel, Charles Péguy meurt, que mon cœur a de peine !

 

                                                        *

   Mais quelle mouche a donc bien pu piquer le divin Platon pour qu’il en vînt à décrire la structure harmonique de l’Âme du Monde d’une manière si emberlificotée ! Voici en effet ce qu’il écrivait dans son Timée : « En premier lieu, il [le Dieu] a séparé du mélange total une portion. Ensuite il a pris une seconde portion double de celle-là ; puis une troisième portion égale à une fois et demie la seconde et à trois fois la première ; une quatrième double de la seconde ; une cinquième triple de la troisième ; une sixième égale à huit fois la première ; une septième égale à vingt-sept fois la première[4]. »

   Cette curieuse théorie numérique, qui égrène étrangement : 1, 2, 3, 4, 9, 8 et 27, cache en réalité des richesses inouïes, notamment dans le domaine musical, puisque l’harmonie de l’Âme du Monde semble comprendre toutes les gammes possibles et dépasse infiniment les harmonies limitées que produisent nos instruments imparfaits. C’est ce que constatait, il y a près d’une centaine d’années, Albert Rivaud admiratif, concluant : « Il y a là, tout ensemble, un symbole instructif et une preuve décisive du pouvoir merveilleux des nombres[5]. » Dans le livre qu’il a publié l’an dernier, Heinz Wismann revient sur ce même sujet, en  remarquant que dans l’univers de la musique modale se produit une évidence : à la faveur de l’homophonie chorale, « il devint soudain évident qu’il existe un même qui triomphe de l’autre, sans l’abolir. L’autre ou l’altérité est là, perçue comme différence, et le miracle est que cette altérité est en même temps identité. On peut expliquer cela par le fonctionnement physiologique de notre oreille ou par le système des harmoniques qui fait qu’il y a un phénomène naturel qui n’a rien à voir avec la construction platonicienne, mais qui veut que, parmi les harmoniques, il y ait l’octave, la quinte, la quarte[6]. C’est repérable, c’est physique. Ce qui voudrait dire que Platon, dans un système métaphysiquement fondé, a décrit quelque chose qui est naturellement le fait physique. » Et d’ajouter, éberlué : « Il est étrange de penser cela – et le mot est faible –, et je n’en ai pas d’explication[7]. »

   M’en tenant aux sept nombres donnés dans le Timée, je relève simplement qu’ils forment une théorie dans laquelle la succession naturelle des termes 8 et 9 est intervertie pour faire alterner les puissances de 2 et de 3. En lisant de près, il est possible de discerner une structure géométrique sous-jacente, celle que j’ai mise en relief dans le schéma ci-dessus (Fig. A) : une figure triangulaire en haut, formée des nombres 1, 2 et 3, qui se rebouclent sur eux-mêmes, puisque le 2 est le double du 1, évidemment, et le 3 est dit valoir trois fois l’unité ; ensuite une figure quadrangulaire en bas, formée des nombres 4, 9, 8 et 27, qui se résorbent également en l’origine, car le 8 égale huit fois l’unité, et le 27 vingt-sept fois, précise Platon. Le philosophe grec, ici, laisse discrètement entrevoir qu’il connaissait le symbolisme du septénaire composé du trois (trigone) et du quatre (tétragone). Il le confirme, ce me semble, en ajoutant plus loin que le Dieu fit ensuite sept cercles inégaux à qui « il commanda d’aller en sens contraire les uns des autres et il voulut que trois d’entre eux fussent mus avec des vitesses égales, et les quatre autres avec des vitesses différentes[8]… »

    Avisons-nous de ce que son dialogue débute d’ailleurs par un trait d’humour révélateur : « Un, deux, trois. Mais notre quatrième, mon cher Timée, le dernier de ceux que j’ai festoyés hier et qui maintenant m’ont convié, où est-il ? » demanda Socrate à son ami[9].

                                                  

*

  Dans les années 1950, avec mes amis valentinois,  les mousquetaires "pour de rire" en culottes courtes Bruno Weber, Olivier Borel du Bez et Dominique Follet, écoliers comme moi, j’aimais bien jouer aux billes dans la cour de l’Institution Notre-Dame, près du sévère et sombre marronnier qui nous prêtait son ombre douce. En prenant sept billes en main, on pouvait, on peut les déposer arithmétiquement  sur le sol de plusieurs manières : les 7 toutes à la fois, comme pour s’en débarrasser à la va-vite ; ou bien 1 d’abord, puis les 6 restantes, ou au contraire  6 + 1 (c’est de cette façon que le sage biblique structura l’un de ses proverbes numériques : « Il y a six choses que hait YHWH, sept que son âme abomine. » Pr 6, 16) ;  et aussi 1 + 1 + 5, ou au contraire 5 + 1 + 1 ;  et encore 2 + 5, ou au contraire  5 + 2 ; mais aussi  3 + 4, ou au contraire  4 + 3 ; sans oublier 3 + 1 + 3 ; etc. Mais on pouvait, on peut aussi les disposer géométriquement, par exemple en cercle, ce qui engendre un heptagone  régulier ou pas, peu importe. Or, si l’on désire esquisser deux figures géométriques à l’aide de nos sept billes, on n’obtiendra jamais qu’un trigone : 3 billes bleues aux 3 angles, et un tétragone : 4 billes rouges aux 4 angles (carré, losange, rectangle, etc.). Les impressionnantes "maîtresses" qui ne rigolaient pas, Géométrie et Arithmétique, nous faisaient un peu peur à l’époque, mais ce que je viens d’expliquer là est simple comme bonjour.

   Nombre de civilisations ont utilisé, outre celui d’un cercle, le dessin d’un triangle pour symboliser le ciel, cette voûte céleste schématisée par le demi-cercle qu’elle trace à nos yeux ; écolier,  je n’en revenais pas de vérifier ce que m’avait appris la leçon : tout triangle rectangle s’inscrit parfaitement dans un demi-cercle ! Maintenant, que le dessin d’un quadrilatère (carré, rectangle, etc.) serve depuis des millénaires à représenter notre terre, notre « bon vieux plancher des vaches », n’étonnera personne ; le nombre quatre rappelle les 4 points cardinaux (nord, sud, est et ouest), les 4 éléments chers aux Anciens (feu, air, eau et terre), les 4 humeurs régentant le corps humain (bile noire, bile jaune, sang et pituite), etc.

   Les ethnologues ont remarqué depuis longtemps la prédilection avec laquelle les différentes religions, cultures ou sagesses répandues sur le globe considèrent collines, monts et montagnes élevés tout près de l’azur, comme le lieu par excellence du sacré, la demeure du divin. Pour mémoire et pour la beauté des noms : le mont Olympe en Grèce, le Kilimandjaro au Kenya, le mont Fuji au Japon et le Machu Piccu au Pérou ; mais aussi le Sinaï pour le judaïsme, le Mont-Saint-Michel au péril de la mer en France, la montagne Qâf pour l’Islam, etc. Et quand un sommet brille de toutes ses neiges (éternelles ou pas), l’accord semble parfait. Les pyramides babyloniennes, égyptiennes ou aztèques, avec leurs faces triangulaires (à degrés ou pas) et leur base quadrangulaire,  permettant à l’influx céleste de se déverser sur la terre, participent de ce symbolisme universel que l’on retrouvera dans les temples antiques. Le superbe Parthénon, dressé sur l’Acropole dominant Athènes, arbore fièrement son fronton triangulaire de marbre précieux, tandis que ses colonnes semblent les rayons pétrifiés venus de quelque point lumineux des confins sidéraux pour s’enfoncer dans le quadrilatère terrestre[10].

   Le symbolisme du septénaire, unissant le trois (suggérant le triangle céleste) et le quatre (rappelant le carré terrestre), s’avère être de tous les temps et de tous les lieux, voire de toutes les  traditions[11] ! On doit à Cassiodore et à Boèce, au VIe siècle après J.-C., la structure des sept arts libéraux composés du trivium : grammaire (parler), rhétorique (colorer les mots) et logique (enseigner la dialectique), soit les trois voies du pouvoir de la langue, auquel est très sensible, bien sûr, la religion du Verbe incarné ; et du quadrivium : arithmétique (compter), musique (chanter), géométrie (peser) et astronomie (connaître les astres), soit les quatre voies des disciplines scientifiques. Transmis à l’Occident chrétien par l’intermédiaire de Bède le Vénérable et d’Isidore de Séville, ces sept arts libéraux devinrent la base de l’enseignement universitaire. Or, en 963 le comte Borel de Barcelone, devant le quasi abandon dans lequel était tombé le quadrivium – peut-être ne portait-il pas assez à la contemplation ? – au sein des monastères européens, fit venir en Catalogne le jeune moine Gerbert d’Aurillac (futur pape Sylvestre II : 999-1003), afin qu’il y apprît les quatre disciplines scientifiques développées par les savants musulmans du royaume de Cordoue tout proche des abbayes catalanes de Vich et de Ripoll.

   Thérèse de Lisieux eut la main heureuse quand elle réalisa ses armoiries personnelles[12]. Elle peignit, en effet, en haut à droite de son blason, un triangle isocèle dans lequel elle esquissa l’inscription du Nom propre du Dieu un et trine : c’était symboliser le sommet de la vie spirituelle, de ce mont Carmel sur la rude pente duquel croît et grandit le lis blanc. « Qui montera sur la montagne de YHWH, qui se tiendra dans son lieu saint ? » se demandait le psalmiste (Ps 24, 3). En haut à droite du second blason, celui du Christ, elle représenta le voile de la Véronique, c’est-à-dire ce linge quadrangulaire sur lequel apparaît la Sainte Face du Fils venu souffrir en sa chair tissée de notre chair, pour nous sauver par amour débordant. Comment mieux résumer artistiquement le Ciel majestueux (triangle divin) et notre frêle monde humain (carré terrestre) ! 

   Dans le calendrier liturgique catholique de la forme dite extraordinaire du rit romain, le temps qui précède la fête de Pâques est distribué en deux parties : la première dure trois semaines, scandée par les dimanches de la Septuagésime, de la Sexagésime et de Quinquagésime ; la seconde, marquée par le dimanche de la Quadragésime (d’où vient le mot "Carême"), comprend les quarante jours de jeûne. Il est facile de saisir le symbolisme sous-jacent qui a présidé au choix fait par les liturgistes romains du VIIe siècle : les 70 jours symboliques (63 en réalité)  précédant la fête de Pâques s’ordonnent idéalement en 30 + 40, soit réellement en 3 (semaines) + 4 (dizaines de jours, soit six semaines). Durant trois semaines, le chrétien médite sur la lutte spirituelle du Christ contre Satan, sur la mission de l’Église et sur sa propre condition de pécheur. Ce temps préparatoire doit raviver l’esprit de pénitence et de réparation, ainsi qu’une profonde confiance en la miséricorde de notre Père céleste ; sans la grâce divine, nul ne peut se relever. Puis durant le Carême, ouvert par le mercredi des Cendres qui rappelle opportunément à tout homme que sa chair n’est que poussière et qu’elle retournera à la poussière[13], l’Église invite ses enfants à la conversion du cœur, conversion concrétisée par quelques renoncements corporels et privations volontaires comme le jeûne, l’abstinence, l’aumône et le partage fraternel.

 

    L’ensemble trois (céleste) + quatre (terrestre) peut également se lire dans l’autre sens, c’est-à-dire quatre + trois ; il suffit seulement de respecter l’attribution traditionnelle attachée à chaque nombre symbolique, sinon il s’agirait d’une pure et simple inversion. Par quelques exemples, je vais essayer de me faire comprendre.

   Dans la Tradition hébraïco-chrétienne, les sept millénaires de l’histoire de l’humanité engendrés par le modèle archétypal des Sept Jours de la création des cieux et de la terre (Gn 2, 2), se répartissent ainsi : quatre millénaires avant la venue du Messie, et trois depuis l’Incarnation du Fils qui a fait entrer l’humanité dans une ère nouvelle, dévoilant le mystère de la recréation de toutes choses par sa Résurrection[14]. Ce schéma des 4 terrestre + 3 céleste est corroboré par Paul de Tarse écrivant aux Corinthiens : « Le premier homme [Adam], tiré de la terre, est terrestre ; le second  [nouvel Adam]  est venu du Ciel. Tel est l’homme terrestre, tels sont aussi les hommes terrestres ; tel est l’homme céleste, tels sont aussi les hommes célestes. » (1 Co 15, 47-48) Dans la même ligne exégétique, il est possible de comprendre la célèbre affirmation de l’Apôtre à ces mêmes habitants de Corinthe : « [C’est Dieu] qui nous a qualifiés pour être ministres d’une Alliance nouvelle, non de la lettre, mais de l’Esprit ; car la lettre tue, l’Esprit vivifie. » (2 Co 2, 3, 6). La charité vivifie l’âme chrétienne en lui donnant le pouvoir d’accomplir la Loi (naturelle) révélée dans l’ancienne Alliance.

   N’est-il pas opportun de mettre en perspective ces deux récits johanniques éloquents ? « À son arrivée [à Béthanie], Jésus trouva Lazare enseveli déjà depuis quatre jours. » «  Marthe lui dit : "Seigneur, il sent déjà : c’est le quatrième jour." » (Jn 11, 17 & 39) "Sorti" du tombeau par le Christ, le frère de Marthe et Marie devait, bien évidemment, mourir une seconde fois beaucoup plus tard ; une tradition rapporte que cela advint à Marseille, ville dont il était le premier évêque. Voici l’autre passage évangélique : « Le soir de ce même jour, le premier jour de la semaine (…), Jésus vint et se tint au milieu d’eux. » (20, 19). Le Credo nous fait professer avec joie : « Il ressuscita le troisième jour, conformément aux Écritures. »

   Les quatre vertus des philosophes grecs reprises par la Tradition biblique : la tempérance, la prudence, la justice et le courage – ou la force –  (cf. Sg 8, 7), vertus cardinales qui peuvent s’acquérir grâce à une éducation appropriée, permettent à la nature humaine de s’élever peu à peu, jusqu’à être purifiée par la grâce divine trinitaire de laquelle procèdent les trois vertus théologales : la foi, l’espérance et la charité. Le spirituel, Péguy nous l’a assez répété sur tous les tons de son royal verbe poétique, ne supprime pas le charnel, mais vient à sa suite afin précisément de le couronner. L’arbre de la grâce est raciné profond. 

   Lors de la Messe des Rameaux du 24 mars dernier, on a pu voir sur la place Saint-Pierre la magnifique procession lévogyre, c’est-à-dire dans le sens sacré contraire à celui des aiguilles d’une montre[15], en l’honneur du Fils de David, en présence du pape François. Tous les cardinaux de l’Église romaine étaient alors coiffés de la célèbre barrette rouge sang, portée depuis le XIVe s. Ce couvre-chef est un bonnet carré surmonté de trois cornes arrondies (en latin apex, apices) rajoutées au XVIIe s. afin de mettre en relief la dignité des princes de l’Église, cornes disposées à l’avant, à l’arrière et sur le côté droit. Il était cocasse de remarquer, à cette occasion, l’erreur du cardinal Poupard ayant mis sa barrette de telle sorte que la corne arrière se trouvait sur le côté gauche[16]… La barrette à quatre cornes, que portent certains curés, chanoines et autres docteurs bardés de peaux d’âne, permet d’éviter ce genre de méprise.      

   La superbe abbaye de Fontenay, fondée en 1118 dans un bel écrin bourguignon, est le vrai modèle inscrit dans la pierre de la plus stricte architecture cistercienne, avec son chevet plat, pendant que le chœur baigne dans la pure lumière rayonnant de plusieurs baies en plein cintre. En ce haut lieu spirituel, alliant élégance et robustesse, règne une harmonieuse sérénité à couper le souffle. Bernard de Clairvaux connaissait sur le bout des doigts la symbolique traditionnelle : la clef de voûte (courbe), c’est Jésus, l’Église est quadrangulaire ; ce que Péguy aussi, bien sûr, savait par cœur.

   On pourrait multiplier les exemples, mais j’aimerais rappeler ce que j’ai déjà développé dans mes deux ouvrages et plusieurs articles concernant la prière du Notre Père, du Pater Noster, la seule prière enseignée par Jésus de Nazareth à ses apôtres[17]. L’oraison dominicale, la plus parfaite des prières, véritable résumé de toutes les Écritures, est la prière par  excellence de toute l’Église ; elle fait partie intégrante des grandes heures de l’Office divin et des sacrements de l’initiation chrétienne depuis près de 2000 ans. « Elle comprend sept demandes. Les trois premières, plus théologales, nous attirent vers la gloire du Père, les quatre dernières, comme des chemins vers Lui, offrent notre misère à sa Grâce[18]. » On retrouve, magnifiquement illustrée, la structure du septénaire traditionnel en 3 céleste + 4 terrestre :

« Notre Père qui es aux cieux,         

Que ton Nom soit sanctifié,

Que ton Règne vienne,

Que ta Volonté soit faite comme au ciel ainsi sur la terre.

Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour,

Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés,

Garde-nous d'entrer en tentation,

Mais délivre-nous du Mal.»                  

  Admirons le mot « terre », à la fin des trois premières demandes, faisant la liaison entre le 3 du ciel, où Tu demeures, Toi notre Dieu ! et le 4 de la terre, où nous pérégrinons, nous autres pauvres humains...

   On peut, certes, commenter l’oraison dominicale en appréhendant les sept demandes du point de vue de l’homme (ou des docteurs) selon un ordre naturel, qui correspond aux progrès du chrétien dans le temps, soit dans le sens 4 + 3. Anselme de Laon fut l’un des premiers, début XIIes., à systématiser cette manière d’étudier le Pater Noster. Soulignons bien, en passant, qu’il n’y a dans ce cas aucune inversion dans le symbolisme du septénaire, puisque les quatre demandes mises en premier restent celles qui concernent l’humanité, et les trois dernières la divinité. Beaucoup d’exégètes, dès lors, donnent ainsi deux commentaires, le premier suivant l’ordre naturel : 4 + 3, et le second suivant l’ordre trouvé dans l’Évangile : 3 + 4[19]. Pour ma part, depuis que j’ai compris – depuis 1986 – que les sept demandes de l’Oraison dominicale déroulent le Nom de gloire Y H Sh W H – יהשוה – de Jésus ressuscité, je ne les prie et ne les commente que dans le sens enseigné par notre Seigneur et Maître : 3 + 4. Prière parfaite, divine, ce ne sont pas là de vains mots !   

     Deux ans avant de tomber au champ d’honneur près de Villeroy (au tout début de "la der des der"), Péguy avait publié, le mercredi 8 mai de l’an 1912, un cahier préparatoire pour le quatre cent quatre-vingt-troisième anniversaire de la délivrance d’Orléans par la Pucelle : Le Mystère des Saints Innocents[20]. Le poète, en pleine maîtrise de son art, y fait parler Dieu le Père, par la bouche de Madame Gervaise méditant tout haut devant Jeannette (d’Arc), en des termes inoubliables :

 

   « Il a bien su ce qu’il faisait ce jour-là, mon fils qui les aime tant.

Quand il a mis cette barrière entre eux et moi, Notre père qui êtes aux cieux, ces trois ou quatre mots.

Cette barrière que ma colère et peut-être ma justice ne franchira jamais.

Heureux celui qui s’endort sous la protection de l’avancée de ces trois ou quatre mots.

Ces trois ou quatre mots qui me vainquent, moi l’invincible (…).

Ces trois ou quatre mots qui s’avancent comme un bel éperon devant un pauvre navire.

Et cette pointe ce sont ces trois ou quatre mots : notre père qui êtes aux cieux (…).

Et c’étaient ces trois ou quatre mots (…), non plus seulement comme un texte, non plus seulement dans leur texte (…).

Mais dans leur source même (…).

Quand il [un chrétien] a prononcé ces trois ou quatre mots (…).

Quand il a commencé par faire marcher devant lui ces trois ou quatre mots (…).

Telles sont, dit Dieu, ces trois flottes innombrables. Et la quatrième.

Ces trois flottes visibles et cette quatrième invisible (…).

En tête c’est un comme un coin ces trois ou quatre paroles, notre père qui êtes aux cieux (…).

Mais chacun [des "notre père" récités] précédé de sa propre pointe

Qui est ces trois ou quatre mots.

Et derrière seulement viennent les trois autres flottes.

Et toutes ces quatre flottes sont sur voiles[21]. »

  Quelle magnifique prière méditée, quelle roborative méditation priée, avec la répétition de ces incessants, insistants, lancinants « trois ou quatre », rendant presque physiquement, charnellement l’impression de force, d’invincibilité acquise par nos pauvres oraisons continuelles – pitoyables prières perpétuelles jaillies du cœur non pas de fantassins, mais de matelots de la Royale – quand elles se glissent dans le sillage de la grande prière apprise du Fils sous le souffle puissant de l’Esprit ! Or, tout avait commencé avec « les trois ou quatre femmes qui pleuraient tout debout », sur le Calvaire, au pied de l’arbre de Vie sur lequel mourait Jésus. Comme si Péguy, discrètement, avait voulu nous faire comprendre que la seule attitude vraiment digne pour un chrétien récitant le Notre père était d’avoir les deux bras en croix, ainsi du célébrant à l’autel, entre l’Anaphore (prière du Sacrifice eucharistique) et la liturgie de communion, tendu vers la venue du Seigneur, « jusqu’à ce qu’Il vienne ! » (1 Co 11, 26)[22]. D’un génial poète inspiré et à l’œil assez profond, plus rien désormais ne m’étonnera jamais.

 

   La religion musulmane possède, elle aussi, une prière à répéter plusieurs fois par jour. Il s’agit de la première sourate du Coran, composée de sept versets et appelée al-Fâtiha, c’est-à-dite l’Ouverture, la Liminaire ou la Conquérante. En voici le texte complet traduit en français par Denise Masson :

 « 1  Au nom d’Allah : celui qui fait miséricorde, le Miséricordieux.

  2  Louange à Allah, Seigneur des mondes :  

  3  celui qui fait miséricorde, le Miséricordieux,

  4  le Roi du Jour du Jugement.

  5  C’est toi que nous adorons,

c’est toi dont nous implorons le secours.

  6  Dirige-nous dans le chemin droit :

  7  le chemin de ceux que tu as comblés de bienfaits ; non pas le chemin de ceux qui encourent ta colère ni celui des égarés[23]. »

   Pour le recteur de la Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, cette prière est l’équivalent du Pater Noster des chrétiens. Une telle comparaison était déjà sous la plume de l’orientaliste hongrois Goldziher au début du XXe siècle[24]. Blachère, lui, affirme que « ce texte forme un tout qui se distingue nettement de l’ensemble du Coran (…). Ainsi que le Pater Noster, cette sourate se termine par un appel au Seigneur, seul capable de préserver l’Homme du mal et du péché[25].»

   Un soufi célèbre, originaire du Mali, a longuement développé le parallèle entre les deux prières chrétienne et musulmane : je veux parler d’Amadou Hampâté Bâ que j’ai eu la joie, début janvier 1982, de rencontrer chez lui à Abidjan[26]. Quelque sept ans auparavant, notre érudit peul avait eu l’occasion de déployer toute sa verve, lors d’une conférence à Niamey, pour mettre en relief les convergences possibles entre les prières dominicale et coranique. Un livre en fut le fruit intitulé Jésus vu par un musulman, on pourra s’y reporter[27]. Amadou discernait « dans les sept versets [sic : demandes] du Pater [resic : il vaut mieux parler de "Pater Noster" en Matthieu, car le "Pater" est en Luc, avec cinq demandes seulement] comme dans ceux de la Fâtiha, une structure de "descente" quasiment identique, ainsi que, pour de nombreux termes, une parenté de signification indécelable à première vue, surtout dans une traduction. » (p.88) Mis à part quelques rapprochements intéressants, l’ensemble de la démonstration est peu convaincant, puisque religion chrétienne et religion musulmane ont des points de vue fort différents, avec une cohérence significative doctrinale tout autre. Tous les mots ont un autre sens chez les uns et chez les autres. Cela cependant n’empêche pas de se comprendre, si l’on accepte ces différences de fond. Sinon, on s’enlise dans l’illusion recouverte d’affectif exacerbé, bloquant et simpliste. Le dialogue vrai est plus exigeant. L’islam n’est pas une religion biblique et les emprunts que le Coran fait des Saintes Écritures semblent tout artificiels et extérieurs. La relation à Dieu, avant même de concerner ces deux prières, est très différente de part et d’autre : régime de soumission à Allah en islam (sans Dieu "Père"), régime d’Alliance biblique en christianisme, avec annonce d’un Dieu Sauveur tout à fait impensable en islam[28].

   Un philosophe français converti au soufisme m’a signalé, en sa lettre du 10 octobre 2012, que, « sur bien des points, ses interprétations [d’Amadou Hampâté Bâ] s’écartaient sensiblement des règles traditionnelles du ‘ilm al-hûrûf », c’est-à-dire de la science des lettres, ce qui n’est pas pour rassurer. Enfin, quelle n’a pas été ma surprise lorsque je constatai que le soufi malien commentait la Fâtiha décapitée de son premier verset, appelé la basmala : « Au nom d’Allah, celui qui fait miséricorde, le Miséricordieux », et se trouvait ainsi obligé de dédoubler le dernier verset afin d’en obtenir sept en tout et non six ! Cela me rappelle un souvenir bien précis.

   Alors qu’il m’avait nommé responsable du projet élevage de l’Association pour le développement de la région du Yaanga (ADRY) au Burkina Faso, Jean Audouin, missionnaire samiste français, m’envoya de Paris (où il passait son doctorat ès sciences humaines sous la direction de Georges Balandier, inventeur du concept de ‘tiers monde’), en novembre 1982, le livre du Coran, traduit en langue peule par Oumar Bâ,  enrichi d’une dédicace tracée à l’encre noire de son écriture rapide, que je garde comme un beau témoignage d’amitié : « Puisse, Jean-Marie, la lecture du Coran en fulfulde te rapprocher encore des Peul et vous rapprocher, ensemble, de Dieu et de tous vos frères. » En me plongeant dans ce pavé de quelque 654 pages, j’avais remarqué d’emblée qu’Oumar Bâ, en sa  traduction de la sourate liminaire, ou simoore I, omettait la basmala  et dédoublait le 7e et dernier verset afin d’obtenir le septénaire symbolique traditionnel. Mais comme je pus constater également, au fil de mes lectures, qu’il inscrivait cette même basmala au début de la simoore IX – quand tout orientaliste sait que cette sourate 9 est la seule justement à ne pas commencer par « Au nom d’Allah… », ce manque étant comblé par la sourate 27 qui contient, en son verset 30, l’en-tête de la lettre écrite par le roi Salomon – et qu’il l’oubliait en tête de plusieurs autres, j’en conclus que cette traduction n’avait pas beaucoup de valeur[29]. En réalité, Oumar et Amadou Hampâté, du même clan peul Bâ notons-le, appartiennent tous les deux à la même école juridique appelée malikite, dans laquelle le premier verset de la Fâtiha est omis lors des prières. Or, l’opinion majoritaire des commentateurs du Coran est que ce verset doit être pris en compte. Tel était en particulier le point de vue d’un Ibn ‘Arabî (1165-1240), ce "fils de Platon", surnommé "le plus grand maître" et considéré comme "le sceau de la sainteté" dans le monde musulman.

   On ne saurait donc en aucun cas mettre en parallèle le Notre Père et la Liminaire ? Tel n’est pas mon avis, car s’il est vrai que le contenu des deux prières est fort différent, il n’en reste pas moins vrai que leur organisation septiforme donne à penser : sept demandes ici, sept versets là. Or, la cohérence interne des 3 demandes (célestes) + 4 demandes (terrestres) dans l’oraison dominicale est fondée sur le roc, nous l’avons montrée. Mais alors, qu’en est-il de celle de la Fâtiha ? Dans la princeps de mes Bergers du Soleil, j’avais montré que cette dernière est structurée à rebours, en 4 + 3 : les quatre premiers versets concernant Allah au ciel et les trois derniers "nous", les hommes sur cette terre[30]. Un soufi français, islamologue arabisant renommé, m’apprend par ailleurs, dans sa lettre du 11 mars dernier, qu’ « un hadîth du Prophète dit que la Fâtiha est un partage entre Dieu et l’homme : les 4 premiers versets sont la "parole" de Dieu, les 3 derniers celle des hommes. C’est ce que vous dites. » Cependant, n’ayant pas pu obtenir les références précises d’un tel hâdith (i.e dit, fait ou geste de Mahomet contenus dans de nombreux recueils plus ou moins authentiques), je préfère le tenir pour nul et non  avenu.

   Mais il y a deux ans, me penchant de plus près sur le commentaire consacré par Amadou Hampâté Bâ à l’ordre interne et à la signification précise de la prière coranique, je découvris un "secret" sur lequel il avait déjà mis le doigt ! En effet, le grand soufi malien remarqua pertinemment, lors de sa conférence citée plus haut, que « le quatrième verset [en réalité le cinquième de la Fâtiha traditionnelle] introduit cette relation [de l’homme avec Allah] en amorçant un double mouvement (…), ici, pour la première fois, on trouve un mouvement ascendant de l’homme vers Dieu, à travers son adoration et sa demande, et, en réponse, un mouvement de descente du secours divin[31]. » Me relevant du livre où j’avais plongé le nez, j’aurais pu m’écrier, tel un vieil Archimède foulanisant à la peau tannée par le soleil : « Mi  finitawi ! »

      Regardons maintenant avec un œil neuf ce schéma explicatif :

 

le Notre Père                  al-Fâtiha     

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   On remarque que la troisième demande du Notre Père, inscrite elle-même dans le grand triangle bleu des trois premières demandes ayant Dieu pour objet, fait le lien entre le céleste, grâce au mot "ciel" (petit triangle bleu), et le terrestre, grâce au mot "terre’" petit carré rouge tourné vers les quatre demandes logées dans le grand carré terrestre de même couleur.  En face, le cinquième verset de al-Fâtiha, inscrit lui-même dans le grand carré rouge regroupant les trois versets relatifs aux hommes, fait le lien entre le céleste, le grand triangle bleu des quatre premiers versets, grâce à sa première partie : « C’est toi que nous adorons » (petit triangle bleu) – qui a bien ce mouvement ascendant vers Allah ainsi que le relevait Amadou –, et le terrestre concernant les hommes ici-bas, grâce à sa seconde partie : « c’est toi dont nous implorons le secours » (petit quadrangulaire rouge). Cela voudrait-il dire que la structure tramant la prière coranique est l’exact reflet inversé, jusqu’en son cœur, de celle ordonnant l’oraison dominicale ?

   Ne nous y trompons pas, les savants de l’Islam connaissent parfaitement la signification du septénaire disposés en 3 + 4. Ibn ‘Arabî, par exemple, à propos du symbolisme de la langue arabe, invitait à discerner  la divinité  – voire les anges, créatures spirituelles animant l’univers – dans les trois voyelles  â, î et û (son ou) qui dominent les « quatre degrés hiérarchiques  (marâtib) » des vingt-huit lettres[32]. On voit bien l’image sous-jacente : le Ciel, grâce à trois voyelles, anime et vivifie le monde corporel terrestre représenté par la quaternité : quatre fois sept consonnes. Il faut se rappeler l’importance numérique du symbole terrestre indiqué plus haut. Le grand mystique musulman en était d’ailleurs convaincu : « Les principes [du monde physique] ne pourront jamais engendrer que quatre éléments (…). La composition ne saurait s’effectuer à partir de plus de quatre principes (usûl), car le nombre quatre comprend les nombres fondamentaux : trois plus quatre font sept, etc.[33] »

   D’aucuns pourraient penser que le septénaire inversé de la Fâtiha n’est qu’un aérolithe isolé, apparu tout soudain dans le désert. Pourtant, quelques considérations dignes d’intérêt retiendront notre attention. Celle-ci par exemple, notée par Sami Aldeeb après bien d’autres : « On peut dire que nous lisons aujourd’hui le Coran presqu’à l’envers puisque les premiers chapitres, les plus longs, sont d’une façon générale formés de révélations parvenues à Mahomet vers la fin de  sa vie[34]»  Et celle-ci aussi : le nom arabe ‘Isâ, dont on ne trouve nulle trace ailleurs que dans le Coran, semble l’inversion quasi lettre pour lettre du nom hébreu de Jésus Yéshou‘a[35]. Et celle-ci également à propos du Ramadan : la fête musulmane de l’Aïd el-Fitr marque la fin de la période de jeûne et le premier jour du mois suivant, après qu’une autre nouvelle lune a été repérée ; l’Aïd arrive donc après 29 ou 30 jours de jeûne. Le Carême chrétien, on l’a déjà signalé, dure 40 jours[36]. Et celle-ci encore : la sourate 6, verset 143, affirme qu’  « Allah a créé, pour vous, huit animaux par couples : deux parmi les ovins et deux parmi les caprins », ajoutant  au verset 144 : « Allah a créé, pour vous, deux couples parmi les chameaux et deux couples parmi les bovins. » La Loi de Moïse laissait entrevoir discrètement la différence entre, d’une part, les quatre sortes de quadrupèdes déclarés impurs par le Lévitique : le chameau, le daman, le lièvre et le porc  – dont il est précisé : « Vous ne mangerez pas de leur chair et vous ne toucherez point à leur cadavre » (11, 4-8) – et, d’autre part, les trois espèces de ruminants domestiques purs qu’il était possible d’offrir en holocauste à YHWH : bovidé, ovidé et capridé (cf. Lv 22, 18-9)[37]. Et celle-ci pour finir : c’est un marabout peul du Nigéria qui m’a appris comment, en Islam, le croyant peut dire sa foi en Allah, grâce aux cinq doigts de sa main droite répartis en trois groupes : le petit doigt symbolise le alif, le à, première lettre du nom arabe Allah ; viennent ensuite l’annulaire et le majeur liés ensemble pour évoquer les deux lam, le l ; enfin index et pouce, rebouclés l’un sur l’autre, forment à eux deux un cercle stylisant la dernière lette du nom Allah, le , h. Or, cette manifestation matérielle du nom arabe Allah s’avère être l’inverse de la main de bénédiction christique[38].

                                            

                                                     *

Envoi.

    L’immense Simone Weil, dans ses Commentaires de textes pythagoriciens, finit par saisir qu’en réalité, « l’Âme du Monde n’est pas autre chose que l’ordre du monde conçu comme une personne », sous-entendu celle du Fils Dieu, Verbe éternel, deuxième Personne de la Trinité[39].

    Une tradition islamique rapporte que le musulman se trouve souventes fois confronté à trois sortes d’adversaires coriaces qui lui contestent la vérité de sa foi. Le premier est le païen, idolâtre ou associationniste ; c’est le mûšrik. Le deuxième est l’hypocrite qui ne fait pas ce qu’il dit, qui joue sur les apparences, une vraie plaie dans la communauté des croyants ; c’est le mûnafiq. Le troisième, enfin, est le "dénégateur" comme dit Berque[40], réfractaire plus qu’incroyant, hérétique plus qu’infidèle ; c’est le kâfir[41]. Il a été touché par  la Vérité, on la lui a communiquée, on la lui a mise sous les yeux, il en a pris connaissance, mais il la refuse sciemment, la dissimule, l’occulte et finit par la cacher sous le boisseau comme pour la recouvrir d’une ténébreuse chape d’oubli. Il est pire que l’hypocrite ou le païen celui-là, car, non content de mépriser l’humble messager du Dieu vivant  et vrai, le héraut pourpre du Grand Roi, il ne lui répond pas, l’ignore volontairement jusqu’à l’envelopper d’un abyssal, d’un sidérant, d’un sidéral silence réprobateur. Que celui qui a un cœur pour comprendre, qu’il comprenne ces trois et quatre paroles !

 

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Notes :

 

[1] : Schéma du "Septénaire numérique de Platon", en mon ouvrage intitulé Le Nom de gloire. Essai sur la Qabale, Méolans-Revel, Éd. DésIris, 1992, p. 148.

[2] : WISMANN Heinz, Penser entre les langues, Paris, Albin Michel, 2012, p. 80.

[3] : Le lieutenant Charles Péguy est mort, le 5 septembre 1914, debout face aux Allemands, en criant à ses hommes auxquels il venait d’intimer l’ordre de se jeter à plat ventre : « Tirez ! Mais tirez donc, Nom de Dieu ! » Petit détail ajouté pour celui qui croyait que la poésie efféminait.

[4] : PLATON, Timée, 35 b & c., in Œuvres complètes, trad. Albert RIVAUD, Paris, les Belles Lettres, 1925 , t. X, p. 148.    

[5] : Ibid., p. 51.

[6] : « Tout cela mis en lumière par Jean-Philippe Rameau, dans son Traité de l’harmonie réduite à ses principes naturels, Paris, Ballard, 1722 », comme me l’écrit Claude MOULIN, un ami ancien directeur du Conservatoire de Musique de Saint-Égrève.

[7] : WISMANN, op. cit., pp. 243-244.

[8] : PLATON, op. cit., 36 d.

[9] : Ibid., 17 a. Un néoplatonicien du Ve siècle de notre ère, Hiéroclès d’Alexandrie, auteur du Commentaire sur les Vers d’or des pythagoriciens, réfléchira sur le symbolisme du septénaire en notant que « le quatre, c’est un milieu arithmétique entre le un et le sept, parce qu’il surpasse le un du nombre dont il est surpassé par le sept, c’est-à-dire de trois ».

[10] : Par géniale conception pour correction optique, les colonnes du Parthénon ne sont pas parallèles, mais inclinées vers un point de fuite situé dans l’axe en hauteur.

[11] : Les Peuls du Sahel comprennent le 7 comme la totalité du 3 masculin et du 4 féminin ; cf. Amadou Hampâté Bâ & Germaine Dieterlen, Koumen. Texte initiatique des Pasteurs Peul, coll. « Cahiers de l’Homme », Paris / La Haye, Éd. Mouton & C°, 1961, p. 30.

[12] : Cf. mon article "Jeanne d’Arc et Thérèse de Lisieux" sur le site Contrelittérature du  25 janvier 2013, et dans la revue du Cep n° 61, octobre 2012, pp. 71-84.

[13] : En mon Nom de gloire, op. cit., pp. 65 & 74 à 87, je montre que le mercredi est bien le jour de la nature humaine, symbolisée par la lettre hébraïque ש shin, Sh, au cœur du Nom de Jésus ressuscité  יהשוה  Y H Sh W H, lequel ordonnance la semaine de notre ère chrétienne : les 3 premiers jours = Y Père : dimanche, H Esprit du Père : lundi & mardi + les 4 autres jours = Sh nature humaine : mercredi, W Fils : jeudi, H Esprit du Fils : vendredi & samedi.

[14] : Cf. Le Nom de gloire, op. cit., p. 93 sq. ; cf. également mon article "L’ère du Verseau-Lion", sur le site Contrelittérature  du 1er février 2009 et dans la revue du Cep n° 47, avril 2009, pp. 78-83. Lire également : BONAVENTURE de Bagnoregio, Les six jours de la création, trad. M. OZILOU, coll. L’œuvre de saint Bonaventure 1, Paris, Desclée / le Cerf, 1991, XVIe conférence de 1273 ; LAUBIER Patrick de, Le temps de la fin des temps. Essai sur l’eschatologie chrétienne, Préface du RP. René LAURENTIN, Paris, Éd. F.-X. de Guibert, 1994, pp. 45-68.

[15] : Sur la signification des sens lévogyre et dextrogyre, cf. mon essai sur Les Bergers du Soleil, L’Or peul, Préface du Dr Boubacar Sadou LY, Postface de Dominique TASSOT, Méolans-Revel, Éd. DésIris, 1998, Fig. 3, pp. 30-31.

[16] : Cf. la Messe des Rameaux sur le site kto.tv du 24 mars 2013, avec le Cardinal en gros plan  à 1 h 16’ 50’’.

[17] : Cf. mes Bergers du Soleil, op. cit., pp. 153-154 ; Le Nom de gloire, op. cit., pp. 44-46 ; "La prière signée du Nom", art. in Cep n° 40, juillet 2007 et sur le site Contrelittérature du 5 novembre 2008 ;  "Le carré SATOR, le Pater Noster et la Croix", art. in Le Cep n° 44, juillet 2008, pp. 64-80 et sur le site Contrelittérature du 25 sept 2008 ; "Le cœur nommé de gloire", in revue Contrelittérature n° 22, l’Harmattan, 2010, pp. 79-88, et mis en ligne sur le site Contrelittérature du 23 mars 2011.

[18] : Cf. Catéchisme de l’Église catholique, Paris, Mame / Plon, 1992 (abrév. = CEC), § 2803, p. 568. Dans le Supplément Cahiers Évangile n° 132,’’La Prière du Seigneur’’ (le Cerf, juin 2005, 136 pages), Hugues Cousin prouve son oubli de la Tradition catholique en écrivant : « les trois premières demandes qui ont Dieu pour objet, et enfin les trois dernières qui touchent à l’existence concrète. » (p. 2) Un Liminaire à vite éliminer… De son côté, Gilbert Dahan affirme qu’au Moyen Âge « les demandes elles-mêmes sont partagées en 3 + 4 ou, plus souvent, en 3 + 1 + 3 [il doit confondre avec la Ménorah…], la demande concernant le pain jouant un rôle intermédiaire. Voici par exemple comment un liturgiste du XIIe s. (…) comprend la structure du Pater. » Et de citer Le miroir de l’Église dans lequel Honorius écrit : « Il y a sept demandes, qui sont  réparties en trois et quatre. Par les trois, on comprend le Père, le Fils et l’Esprit saint ; par les quatre, on comprend le monde… » (p. 89) Aucun exemple du "fréquent" 3 + 1 + 3 : ou comment prendre ses lecteurs pour des niais.

[19] : Cf. Supplément Cahiers Évangile, op. cit., p. 90. Le cardinal BARBARIN a publié dans ce sens : Le Notre Père. Un chemin de vie spirituelle (Saint-Maur, Parole et Silence, 2007). Joseph RATZINGER-BENOÎT XVI, en son livre sur Jésus de Nazareth (t. 1er, Paris, Flammarion, 2007), signale qu’un starets orthodoxe ne pouvait s’empêcher « de faire réciter le Notre Père en commençant par le dernier mot, afin qu’on devienne digne de clore la prière avec les paroles initiales :"Notre Père". De cette manière, déclarait-il, on prend le chemin pascal : "on commence dans le désert avec la tentation, on retourne en Égypte, on parcourt à nouveau le chemin de l’Exode, par les stations du Pardon et de la manne de Dieu, pour arriver grâce à la volonté de Dieu dans la Terre promise, le Royaume de Dieu...’’ » (p. 158) J’espère qu’il n’osait pas penser, en conséquence, que le Christ invitait ses Apôtres à aller à rebours : de la Terre promise à l’Égypte… Mais le brave starets n’a pas dû se souvenir que c’est l’Esprit du Fils qui nous fait nous écrier : "Abba ! Papa !" dans le sens du retour vers le Principe sans principe (Rm 8, 15 et Ga 4, 6). « L’abîme appelle l’abîme » (Ps 42, 8), comme le rappelle intelligemment le CEC, op. cit., § 2803, p. 568.

[20] : PÉGUY Charles, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1919.

[21] : On pense aux proverbes numériques bibliques : « Il y a trois choses…, et quatre… » (Pr 30, 15-31) ; il faut comprendre ici : « trois choses et une quatrième », et non pas 3 + 4.

[22] : Cf. CEC, op . cit., § 2770-2776., p. 562. Quand un prêtre, mesurant 1,85 m par ex., étend les bras, debout à l’autel, de chaque côté du corps à hauteur des épaules, les coudes légèrement repliés et les mains ouvertes, il atteint une envergure d’environ 1,60 m, la même distance que celle mesurant le fil à plomb virtuel allant de chaque main au sol, soit donc un carré pour le schéma d’ensemble ; la tête et les deux mains s’inscrivent, elles, dans un triangle. Si, durant l’Office divin, les gestes et les attitudes (sans parler des ornements, des couleurs, etc.) n’avaient aucun sens symbolique, toute la liturgie catholique serait d’une insignifiance sans nom et à remiser au placard où s’activent mites et helminthes.

[23] : MASSON Denise, Le Coran, Préface de Jean GROSJEAN, Paris, Gallimard, 1967, t. 1er, p. 3 ; je me suis permis de remplacer le mot "Dieu" par celui d’Allah.

[24] : GOLDZIHER Ignaz, Études sur la Tradition musulmane (Muhammedanische Studien,1890), traduction de Léon BERCHER, Paris, Adrien Maisonneuve, 1984.

[25] : BERQUE Jacques, Le Coran, Paris, Maisonneuve, 1947-50, en 3 vol., t. II, p. 126.

[26] : Voir mon art. "Dialogue imaginaire entre le vieux sage peul Amadou Hampâté Bâ et un jeune blanc-bec", paru en Chemins de dialogue, n° 15, Marseille, 1999 ; puis mis en ligne (revu & augmenté) sur le site Contrelittérature en deux parties : la première le 21 janvier & la seconde le 25 mars 2009.

[27] : BÂ Amadou Hampâté, Jésus vu par un musulman, (Abidjan-Dakar, Nouvelles Éditions Africaines, 1976 ; Abidjan, NEI, 1993), Paris, Stock, (1994) 1996, pp. 63-91.

[28] : On peut lire là-dessus : JOURDAN François, Dieu des chrétiens, Dieu des musulmans. Des repères pour comprendre, Préface de Rémy BRAGUE, Paris, Éd. de l’Œuvre, 2007 ; ainsi que mon art. "Bravo, courageux père Jourdan !", in Le Cep n° 48, juillet 2009, pp. 69-78.

[29] : BÂ Oumar, Le Coran. Français-Peul, Préface de Léopold Sédar SENGHOR, Paris, Éd. de l’Harmattan & ACCT, 1982.

[30] : Voir mes Bergers du Soleil. L’Or peul, Préface de Jean-G. BARDET, Saint-Donat, Data Imprim’, 1988, p. 107 : publication qui date de près d’un quart de siècle !

[31] : BÂ, Jésus vu par un musulman, op. cit. pp. 82-83.

[32] : Ibn ARABÎ, Les Illuminations de La Mecque, Anthologie présentée par Michel CHODKIEWICZ, coll. « Spiritualités vivantes » 150, Paris, Albin Michel, 1997, p. 170.

[33]   : Ibid., pp. 240-241.

[34] : ALDEEB Sami, Le Coran, Texte arabe et traduction française par ordre chronologique selon l’Azhar, CH, Vevey, Éd. de l’Aire, 2010, p. 14.

[35] : Cf. mon opuscule Le nom de Josué-Jésus en hébreu et en arabe, avec une couverture d’Alain SOTTAS, Saint-Marcellin, Outre-Part Éd., nouvelle édit. revue & augmentée, 2002.

[36] : Cf. mon art. "La « nuit grandiose » Ramadan ou Noël ?", in Le Cep n° 34 janvier 2006, pp. 78-86.

[37] : Notons bien que la même sourate 6, verset 146, rappelle : « Nous avons interdit toute bête à ongles à ceux qui pratiquent le judaïsme », sans plus de précision. Pour approfondir la signification symbolique de ces 4 animaux impurs + 3 animaux purs, voir mes Bergers du Soleil, op. cit., pp. 67-70 & 162-163.

[38] : Cf. mes Bergers du Soleil, op. cit., Fig. 46 : "Manifestations gestuelles divines", p. 206.

[39] : WEIL Simone, Œuvres, édit. sous la direction de Florence de LUSSY, Paris, Gallimard, 1999, p. 616.

[40] : BERQUE Jacques, Le Coran, Paris, Albin Michel, édit. revue & corrigée, 1995, pp. 774-775 ; l’auteur y teste à cette occasion la pertinence du carré sémiotique.

[41] : Généralement dans le Coran, les Juifs sont accusés d’être des "recouvreurs" en arabe kâfirûn, de la racine ﮐﻐﺮ kfr : recouvrir, dissimuler ; et les chrétiens des "associateurs" (polythéistes idolâtres), en arabe mûšrikûn, de la racine  ﺸﺭﻚ šrk : associer ; cf. GALLEZ Édouard-Marie, Le messie et son prophète. Aux origines de l’Islam, Versailles, Éd. de Paris, 2005, t. 2, p. 250 note 1278. Le mot arabe mûnafiq vient de la racine  ﻧﺍﻔﻖ  nfq : feindre, jouer la comédie.

 

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