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mercredi, 10 juin 2015

La théologie curative de Jean Romanidès

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LE CHRIST LA VIE DU MONDE

________________________________________________________

 

par Jean Romanidès

 

 

La foi dans le Christ, la théologie et les dogmes sur le Christ et ses relations au Père et à l’Esprit Saint, se proposent essentiellement de conduire l’humanité :

1) à la purification et à l’illumination du cœur – c’est-à-dire à la guérison du centre même de la personnalité de l’homme ;

2) à la glorification ou theosis (déification), qui est la perfection de la personnalité humaine dans la vision de la gloire et du règne (Basileia) incréés du Christ avec les saints du Seigneur, membres de Son corps qui est l’Église.

La foi, la prière, la théologie et le dogme sont des méthodes thérapeutiques et comme des signaux indicateurs sur la voie de l’illumination et de la perfection qui, une fois atteinte, abolit foi, prière, théologie et dogmes – dont le but consiste précisément en leur propre abolition dans la glorification et l’amour désintéressé (1 Co 13, 8, 10).

Ce thème, « le Christ la vie du monde » est ecclésiologique parce qu’il met en perspective ce qui contribue à guérir et à  perfectionner : seuls, en effet, les illuminés et les glorifiés sont membres du Corps du Christ et temples du Saint Esprit.

On peut discerner un certain parallélisme entre, d’un côté, la purification et l’illumination et, d’un autre, les sciences médicales – en particulier la psychiatrie ; mais la glorification ou theosis est connue et préservée seulement au cœur de la tradition chrétienne – ainsi que, peut être, dans le judaïsme.

Cependant, le lien aux sciences humaines ne tient pas ici dans des principes éthiques ou moraux communs mais dans l’ascèse thérapeutique. De même que l’on ne saurait séparer, dans la psychiatrie, le savoir théorique de la pratique médicale, de même, la foi, la prière, la théologie et les dogmes sont inséparables de leur application thérapeutique. Pas plus que la connaissance psychiatrique, la tradition orthodoxe ne se laisse réduire à un système abstrait et métaphysique. Ainsi, la relation entre connaissance et thérapie en sciences médicales est identique à celle que l’on trouve en théologie patristique. La vérité y est mesurée par le succès thérapeutique et la réussite de la thérapie permet d’établir l’analyse descriptive des moyens qui l’ont rendue et la rendent possible.

     Notre étude se déroulera selon les axes  suivants :

1. Le Christ dans l’Ancien Testament et les Conciles Œcuméniques.

2. L’initiation à la vie et à la plénitude de la vérité du Christ par l’Esprit de Vérité au jour de la Pentecôte.

3. Diagnostic et thérapie.

4. Le Corps du Christ.

5. Prophétie et Théologie.

6. Conséquences et conclusions.

 

 

LE CHRIST DANS L’ANCIEN TESTAMENT

ET LES CONCILES ŒCUMÉNIQUES

 

Un aspect essentiel des présuppositions théologiques que tous les Conciles Œcuméniques ont eues sur la personne du Christ est, soit absent, soit carrément rejeté de tous ceux qui se réclament d’Augustin ; et, cette constatation conduit à se demander si ces derniers acceptent véritablement les Conciles.

À l’exception du seul Augustin, les Pères ont tous affirmé que Jésus Christ, avant sa naissance de la Vierge et Mère de Dieu, est, dans Sa Personne incréée d’Ange de Dieu, d’Ange du Grand Conseil, de Seigneur de Gloire, de Seigneur Sabaoth, Celui qui a révélé Dieu en Lui-même aux patriarches et aux prophètes de l’Ancien Testament. De même, les ariens comme les eunomiens s’accordaient avec les orthodoxes pour penser que le Christ, dans sa personne ou hypostase, existant avant la création des temps, a révélé Dieu, mais ils soutenaient, au contraire des orthodoxes, que le Christ avait été créé du non-être, ce pourquoi il n’était pas de la nature même de Dieu, qui seul est véritablement Dieu par nature ; et, qu’ainsi, il ne lui serait ni consubstantiel ni coessentiel.

Ariens et eunomiens prétendaient, comme l’avait fait le Juif Tryphon à Justin le Martyr, que ce n’était pas l’Ange du Seigneur qui avait déclaré à Moïse dans le Buisson Ardent : « Je suis Celui Qui Est » (Ex 3, 14), mais Dieu Lui même à travers l’Ange, le Logos créé. Les Pères affirmèrent que la révélation du Logos-Ange portait aussi sur Lui-même et non seulement sur Dieu, le Père. L’Ange pouvait dire légitimement de lui-même à Moïse : « Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob » (Ex 3,6).

Contre les ariens, saint Athanase affirme que le nom d’Ange est tantôt appliqué au Logos incréé et tantôt à un ange créé. Il insiste sur le fait qu’il est impossible de confondre la vue de l’ange créé avec celle du Fils incréé de Dieu que l’Écriture appelle parfois aussi « Ange ». Il dit clairement : « quand le Fils est vu, le Père aussi est vu, car le Fils est la lumière du Père ; et, ainsi, le Père et le Fils sont un… Ce que Dieu dit, il est très clair, il est évident qu’Il le dit par le Logos et non par un autre… Et celui qui a vu le Fils sait bien qu’en Le voyant il n’a vu ni un ange, ni même rien de plus grand que les anges ni, en un mot, aucun être créé, mais le Père Lui-même. Et celui qui entend le Logos sait bien qu’il entend le Père, comme celui qui est inondé de la lumière sensible sait qu’il reçoit cette lumière du soleil » (Contre les Ariens, III, 12, 14). Pour comprendre l’Ancien et le Nouveau Testament, Saint Athanase donne cette clef : «  Il n’y a rien que le Père ne fasse sinon par le Fils » (Ibid. III, 12).

Ainsi, l’Ancien Testament est christocentrique puisque le Christ est, avant l’Incarnation, l’Ange du Seigneur, l’Ange du Grand Conseil, le Seigneur de gloire et le Seigneur Sabaoth dans Lequel les patriarches et les prophètes ont vu et entendu Dieu et par Lequel ils ont reçu grâce, secours et miséricorde.

Si l’on veut trouver la clef qui permet de comprendre le Premier Concile Œcuménique et ceux qui l’ont suivi, il faut prendre très au sérieux le fait que les orthodoxes et les ariens s’accordaient pour dire que c’est l’Ange-Verbe (le Logos) qui  apparut aux prophètes, leur révélant Dieu. C’est absolument la même personne qui est devenue homme et Christ.

Il faut bien comprendre que les orthodoxes et les ariens n’argumentaient pas en spéculant sur une Seconde Personne de la Trinité conçue abstraitement et dont l’identité et la nature auraient eu besoin d’être décryptées par une rumination des textes scripturaires, avec l’appui de la philosophie hellénistique et le soutien du Saint Esprit. C’est l’expérience spirituelle des prophètes et des Apôtres qui était l’objet de leur discussion, et tout particulièrement le fait de savoir si c’est un Logos créé ou incréé qui est apparu en gloire aux prophètes et aux Apôtres et a révélé en Lui, qui est l’Image, Dieu le Père, qui est le Modèle archétype.

Parce que les eunomiens défendaient les mêmes positions que les ariens sur les manifestations aux prophètes du prétendu Logos-Ange créé, la même discussion réapparut au Deuxième Concile Œcuménique. Saint Basile le Grand, perdant patience, s’adresse ainsi à Eunome : « Toi qui es vraiment athée, ne vas-tu donc pas cesser de traiter Celui Qui Est vraiment – Lui qui est la source de la vie et qui donne l’être à tout ce qui existe – comme un non-être ? Alors que c’est Lui-même, lorsqu’Il se révèla à Moïse, qui lui donna Sa propre appellation qui sied à Son éternité, et se nomma Lui-même "Celui Qui Est". Car Il a bien dit : "Je suis Celui Qui Est". Et que cela ait été dit par la personne du Seigneur Lui-même, personne ne le contredira – je veux dire aucun de ceux qui n’ont pas le voile judaïque recouvrant leur cœur lorsqu’ils lisent Moïse (2 Co 3, 15). Car il est écrit qu’un ange du Seigneur apparut à Moïse dans le feu de la flamme jaillie du buisson (Ex 3, 2). Après avoir présenté, dans son récit, un ange, l’Écriture continue avec la voix de Dieu : " Il dit à Moïse : 'Je suis le Dieu de ton père Abraham' (Ex 3, 6)", et ajoute plus loin : "Je suis Celui Qui Est". Qui est donc Celui qui est à la fois Ange et Dieu ? N’est-ce pas Celui dont nous avons appris qu’Il est appelé "l’Ange du Grand Conseil" ? (Is 9, 6) ».[1]

De même, après avoir résumé des observations similaires, que l’on trouve chez saint Athanase et les Pères antérieurs, en ce qui concerne la rencontre entre l’Ange-Logos et Jacob, saint Basile pose clairement le même principe herméneutique que nous avons trouvé chez l’évêque d’Alexandrie : « Il est évident à tous, que là où la même personne est appelée à la fois Ange et Dieu, il s’agit du Fils unique qui se manifeste Lui-même aux êtres humains de génération en génération et qui annonce la volonté du Père à ses saints. Aussi celui qui, parlant à Moïse, s’est donné lui-même le nom de "Celui Qui Est" doit être identifié à nul autre qu’à Dieu le Logos (Verbe) qui est dès le commencement avec Dieu (Jn 1, 1-2) ».[2]

Eunome répondit à ces arguments de Basile en clamant que le Fils est l’ange de « Celui Qui Est », mais non pas « Celui Qui Est » lui-même. Cet ange est appelé Dieu pour indiquer sa supériorité sur les autres choses, créées par lui, mais cela ne veut pas dire qu’il soit « Celui Qui Est ». Aussi Eunome affirmait-il : « Celui qui envoya Moïse était Lui-même Celui Qui Est, mais celui par qui Il rencontra Moïse et lui parla était l’Ange de Celui Qui Est, le Dieu de toutes les autres choses » (Grégoire de Nysse, Contre Eunome, XI, 3).

On peut trouver étrange cette sophistique de l’argument, mais elle est cependant importante comme témoignage du fait que l’identité entre l’Ange, appelé Dieu dans l’Ancien Testament, et le Christ, le Fils unique de Dieu et Créateur, était si enracinée dans la tradition qu’Eunome ne pouvait même pas imaginer l’évacuer comme s’apprêtait à le faire leur jeune contemporain Augustin en Afrique du Nord – et cela bien que son maître supposé, Ambroise, ainsi que tous les Pères latins, s’accordassent parfaitement avec la tradition que l’on vient de décrire.

Saint Basile, ayant quitté cette vie, ne put répliquer aux réponses d’Eunome à sa propre réfutation, ce fut son frère, saint Grégoire de Nysse, qui s’en chargea dans ses douze livres Contre Eunome qu’il communiqua à saint Jérôme durant le Deuxième Concile Œcuménique de 381.

Saint Grégoire de Nysse avance que « si Moïse demande que le peuple ne soit pas conduit par un ange (Ex 33, 15 ; 34, 9) – Dieu ayant annoncé qu’Il en enverrait un pour conduire son peuple à la liberté (Ex 32, 34 ; 33, 2) – et si Celui qui parle avec lui accepte de devenir son compagnon de voyage et le guide de son armée (Ex 33, 17), il est ici tout à fait démontré que Celui qui se fait connaître lui-même par le nom de "Celui Qui Est" est Dieu le Fils unique. Si quelqu’un vient contredire ce fait, il se déclarera lui-même comme un défenseur de la croyance juive qui n’associe pas non plus le Fils à la délivrance du peuple. En effet, si on dit, d’un côté, que ce n’était pas un ange qui s’avançait avec le peuple, et que, de l’autre, comme le soutiendrait Eunome, celui qui se manifeste par le nom de  "Celui Qui Est" n’est pas le Fils unique, cela revient bel et bien à importer dans l’Église de Dieu la doctrine de la Synagogue. En conséquence, ils [les eunomiens] doivent nécessairement admettre l’une des deux hypothèses : ou bien le Dieu Monogène (Fils Unique) n’est jamais apparu à Moïse, ou bien le Fils est Lui-même "Celui Qui Est", émetteur de cette parole adressée à Son serviteur. Mais il [Eunome] rejette ce que nous venons de dire, alléguant l’Écriture elle-même (Ex 3, 2) qui nous apprend que la voix d’un ange s’interposait et que les paroles de "Celui Qui Est" étaient ainsi retransmises. Cette citation, pourtant, loin de contredire notre opinion, la confirme. Car nous enseignons aussi, et sans détours, que le prophète, dans son désir de manifester aux hommes le mystère du Christ, a donné le nom d’Ange à Celui Qui Est, pour que la signification de ces mots ne soit pas rapportée au Père, comme tel aurait été le cas, si le nom de Celui Qui Est s’était seul trouvé tout au long du discours » (Contre Eunome, XI, 3).

Ces extraits des principaux Pères des Premier et Second Conciles Œcuméniques indiquent parfaitement que, pour les Pères conciliaires, la doctrine de la Sainte Trinité s’identifiait aux manifestations du Christ, apparu comme le Logos sans la chair aux Prophètes et, dans sa nature humaine, aux Apôtres.

Personne, dans la Tradition patristique, sauf Augustin, n’a jamais douté que le Logos ne soit pas identique à cet individu concret qui s’est révélé lui-même comme le Dieu Invisible de l’Ancien Testament aux Prophètes, qui est devenu homme et continue cette même révélation de la gloire de Dieu dans et par sa propre nature humaine prise de la Vierge.

La controverse surgie entre les orthodoxes et les ariens-eunomiens ne portait pas sur la question de savoir qui est le Logos dans l’Ancien et le Nouveau Testament mais sur ce qu’est le Logos dans sa relation à Dieu le Père. Les orthodoxes soutenaient que le Logos est incréé et immuable, ayant toujours existé à partir de l’essence ou de l’hypostase du Père qui, par nature, cause l’existence de son Fils avant tous les temps. Les ariens et les eunomiens insistaient sur le fait que ce même Ange-Logos est une créature de Dieu qui vient à l’existence, avant tous les temps, du non-être par la volonté de Dieu et non pas de Sa nature.

Dès lors la question fondamentale était la suivante : est-ce que les Prophètes et les Apôtres ont vu dans la gloire incréée de Dieu (position des orthodoxes et des ariens) ou dans une énergie créée (position des eunomiens), un Logos incréé ou un Logos créé ? Un Logos qui est Dieu par nature et qui a, dès lors, toutes les énergies et les pouvoirs de Dieu par nature, ou bien un Dieu par la grâce, qui aurait quelques unes des énergies de Dieu le Père, mais non pas toutes, et qui, dès lors, serait un Logos par la grâce et non par la nature ? Aussi bien les orthodoxes que les ariens/eunomiens étaient d’accord sur le principe que, si le Logos possède par nature toutes les forces et énergies du Père, alors il est incréé ; et que, si ce n’est pas le cas, alors il est une créature.

La discussion portait sur les expériences de révélation ou de glorification (theosis) que Dieu donne dans Son Esprit par son Logos-Ange-Christ aux Prophètes, Apôtres et Saints. Ces expériences ou ces vies des saints sont rapportées dans la Bible et dans la continuation post-biblique de la Pentecôte, dans le Corps du Christ, l’Église. C’est pourquoi, les deux partis en appelaient aux Pères des temps anciens aussi bien qu’aux modernes, depuis les vies rapportées dans la Genèse jusqu’à leurs contemporains. S’ils ne pouvaient s’accorder sur l’autorité des témoins contemporains, ils avaient une base commune de discussion, dans l’Ancien et le Nouveau Testament comme dans la tradition patristique antérieure.

Ainsi les orthodoxes comme les hérétiques se servaient du Nouveau et de l’Ancien Testament pour déterminer si les Prophètes et les Apôtres ont vu une hypostase ou personne divine du Christ créée ou incréée. L’argumentation est simple. Chaque camp dresse une liste de toutes les forces ou énergies de Dieu mentionnées dans la Bible. Puis ils font de même pour le Logos-Ange-Fils Unique. Enfin, ils comparent les deux listes pour voir si elles sont identiques ou non. Elles doivent être rigoureusement identiques.

Les orthodoxes et les ariens s’accordaient pleinement avec la tradition héritée de l’Ancien Testament et confirmée par le témoignage des Apôtres et des saints auxquels Dieu révèle sa gloire dans son Fils incarné, tradition selon laquelle la créature ne peut connaître l’essence incréée de Dieu ; ils s’accordaient aussi sur le fait qu’entre l’incréé et le créé ex nihilo, il n’y a aucune ressemblance d’aucune sorte.

Afin de prouver que le Logos est une créature, les ariens affirmaient qu’Il ne connaît ni l’essence de Dieu ni sa propre essence et qu’Il n'est pas en tout semblable à Dieu.

Les orthodoxes disaient au contraire que le Logos connaît l’essence du Père et qu’il est en tout point semblable au Père, ayant par nature tout ce que le Père a, sauf la Paternité ou le fait d’être cause de l’existence du Fils et du Saint Esprit.

Les orthodoxes et les ariens s’accordaient sur la distinction de ce que Dieu est en Lui-même par nature et de ce qu’Il est ou fait par volonté ; mais ils différaient nettement dans la répartition des éléments de cette distinction entre l’essence divine et la volonté ou énergie. Les orthodoxes affirmaient que Dieu cause l’existence du Logos par nature et l’existence des créatures par volonté, alors que les ariens disaient que le Logos et toutes les autres créatures étaient le produit de la volonté divine.

Au contraire, les eunomiens soutenaient que l’essence et l’énergie incréée de Dieu sont identiques, que le Logos est un produit de l’énergie créée de Dieu, que le Saint Esprit est un produit de l’énergie créée du Logos et que chaque espèce créée est le produit d’une énergie créée particulière du Saint Esprit. Selon Eunome, si chaque espèce n’avait pas son énergie individuelle, une énergie du Saint Esprit, il n’y aurait pas plusieurs espèces créées, mais une seule.

Eunome embrouille à sa façon le témoignage biblique et patristique sur la glorification où chaque créature participe, chaque saint communie au Logos qui se rend ainsi présent à chacun en multipliant de façon indivisible sa gloire incréée : elle est présente in toto (dans sa totalité) et en chacun, mais non pas comme une partie pour chacun. C’est ce qu’enseigne le Christ (Jn 14, 2-23), et qui fut expérimenté le jour de la Pentecôte (Ac 2, 3-4). Cette gloire, dans le Logos, apporte et le Père et l’Esprit. Cela signifie qu’il n’y a pas d’universaux en Dieu et qu’Il soutient non seulement des espèces mais chaque portion singulière de l’existence, dans toutes ses formes multiples. L’individu n’est jamais sacrifié par le Christ pour un prétendu bien commun mais, en même temps, le bien commun se trouve être le bien de chacun en particulier.

Le mystère de l’ascension du Christ dans sa propre gloire et son retour auprès de ses disciples dans l’Esprit de gloire, le jour de la Pentecôte, signifie qu’Il est désormais pleinement présent à et dans chacune des étapes de l’illumination et de la glorification (theosis). Ainsi, en partageant le pain eucharistique qui est un, et la coupe qui est une, chaque membre du Corps du Christ reçoit non pas une partie du Christ, mais le Christ tout entier et devient ce qu’il est déjà, un temple (Naos) ou une demeure (Monê) du Père et du Saint Esprit dans le Logos incarné en commun avec les membres du Corps du Christ.[3]

 

 

L’INITIATION À LA VIE ET À LA PLÉNITUDE DE LA VÉRITÉ DU CHRIST

PAR L’ESPRIT DE VÉRITÉ AU JOUR DE LA PENTECÔTE

 

Toutes les distinctions développées et précisées pendant les disputes qui se sont déroulées autour des Premier et Second Conciles Œcuméniques se sont retrouvées dans les Conciles Œcuméniques suivants qui ont été une extension du Premier.

La terminologie de ces distinctions ne doit pas être séparée de ses présuppositions. L’expression peut avoir de la diversité mais non dans les présupposés de la terminologie en question.

Les présupposés terminologiques de la théologie empirique se trouvent dans les états spirituels suivants :

1) la purification du cœur ;

2) l’illumination du cœur ;

3) la glorification (theosis) du cœur et de tout l’être de celui auquel le Logos apparaît dans Son Esprit et en Lui-même révèle Son Père.

Qui, dans l’Esprit, voit le Christ en gloire, voit le Père. Cette expérience doit être considérée comme la pierre angulaire des formulations doctrinales dans la tradition patristique.

Nous avons cité certains textes patristiques qui montrent  que les Pères des Premier et Second Conciles Œcuméniques se servaient de la tradition transmise pour montrer que les Prophètes, les Apôtres et les Saints, dans leurs expériences de la glorification, avaient une véritable vision de Dieu dans son Ange-Logos incréé, avant comme après son Incarnation.

Quand le Christ, lors de Sa Transfiguration, a révélé la gloire incréée et le règne (Basileia) du Père comme sa propre gloire naturelle, Il a réitéré, dans Sa nature humaine, la même manifestation qui fut la sienne comme Seigneur de gloire dans l’Ancien Testament. La proposition de Pierre, de dresser des tentes à cette occasion – une pour le Christ, une pour Élie et une pour Moïse –, comme une imitation de la Tente du Témoignage dans laquelle Moïse avait participé à la gloire de Dieu, était une bévue du fait que la nature humaine du Christ avait elle-même remplacé la Tente du Témoignage de Moïse ainsi que le Temple de Salomon et les avait rendu inutiles : c’est le Christ Lui-même qui révélait désormais Sa gloire qu’Il tient par nature du Père.

D’après les Pères de l’Église, le discours et la prière du Christ rapportés par Jean (13, 31 ; 17, 26), qui contiennent la promesse selon laquelle, lorsque viendra l’Esprit de Vérité, « Il vous guidera dans la plénitude de la vérité », ont été accomplis au Jour de la Pentecôte, laquelle se perpétue comme expérience de ceux qui rejoignent la communion des glorifiés.

Cela ne veut pas dire que les Prophètes et les Apôtres n’ont pas été conduits à la vérité, les uns par illumination, les autres par glorification de surcroît ; mais que les Apôtres étaient sur le point d’être conduits à la plénitude de la vérité dans la révélation de la Pentecôte.

En aucun cas cela ne veut dire qu’une Église serait conduite par étapes, soit à une compréhension plénière de toute la vérité, soit à une restauration ou à une création de l’unité à partir de la désunion des Églises.[4]

Le discours du Christ sur l’unité et sa prière pour l’unité concernent l’unité des Apôtres et des fidèles dans l’expérience de la glorification, c’est-à-dire la vision de la gloire incréée de la Sainte Trinité dans la nature humaine du Christ, sur le point d’être accordée en sa plénitude dans l’expérience de la Pentecôte (Jn 17, 24).

La glorification pentecostale suit les étapes de la purification et de l’illumination des disciples du Christ, comme l’exposent les Évangiles synoptiques et johannique. L’amour intéressé, est transformé, par l’état d’illumination, en amour désintéressé et prépare les disciples à voir en Christ la divinité de la Sainte Trinité comme gloire et non comme feu consumant.

Le don de l’amour désintéressé est la condition préalable pour être conduit dans toute la vérité par l’esprit du Christ. Cela signifie que doctrine et spiritualité sont inséparablement unies dans les stades de purification et d’illumination. Au stade de la glorification, cependant, la doctrine ou la connaissance sur Dieu sont remplacées par la réalité incréée que l’on peut désigner mais aucunement exprimer.

Saint Grégoire le Théologien, en faisant appel à sa propre expérience de la glorification, lorsqu’il réfute l’affirmation eunomienne selon laquelle l’homme peut concevoir l’essence de Dieu (Discours Théologiques, 2, 3), a mis très nettement ce point en évidence. Il insiste sur le fait que Platon affirmait qu’il est difficile de concevoir Dieu mais que l’exprimer par des mots est impossible (Timée 28 c). Grégoire désapprouve cette opinion et précise que, s’il est impossible d’exprimer Dieu, il est encore plus impossible de Le concevoir : « Car ce qui peut être conçu peut aussi être déclaré par le langage, sinon adéquatement, du moins imparfaitement. » (Discours Théologiques 2, 4). Ainsi, concevoir et exprimer Dieu est une impossibilité non seulement pour les non-croyants, mais encore pour les amis de Dieu qui ont atteint soit l’illumination, soit la glorification. Dieu, même vu, demeure un mystère.

Ceux qui atteignent l’illumination et la glorification se servent de concepts et de mots lorsqu’ils parlent de Dieu, mais ces mots et ces concepts sont inspirés par l’expérience de la glorification. Les Pères spirituels utilisent des mots et des concepts pour conduire les autres via la purification jusqu’à l’illumination, comme les Prophètes, les Apôtres et le Christ Lui-même l’ont fait. Cependant, si l’on se sert de ces mots et concepts pour spéculer philosophiquement sur Dieu, c’est se tromper sur les uns et les autres et aller droit à l’erreur qui coupe toute possibilité de purifier son cœur et d’atteindre l’illumination. Cette mauvaise utilisation des concepts et des mots sur Dieu est la source de toute hérésie.

La méditation piétiste et philosophique sur la Bible, ainsi que la critique biblique sont des voies sans issue qui ne mènent pas aux réalités désignées par le Christ dans le Nouveau et dans l’Ancien Testament. La Bible n’est pas la Révélation, elle n’est pas la Parole de Dieu ; elle traite de ces réalités. Révélation et Parole de Dieu sont communiquées aux hommes uniquement à travers l’acquisition, par la purification, de l’état d’illumination et, mieux encore, de celui de la glorification – ou theosis – qui perpétue, de génération en génération, la Pentecôte, comme le fondement et le pivot de la tradition et de la succession apostoliques.

Dans l’Ancien Testament apparaissent les manifestations de Dieu aux Prophètes, dans Son Ange-Logos qui a continué dans son Incarnation d’apparaître en gloire à certains de Ses Apôtres, comme lors de la Transfiguration. Il explique à Ses disciples que, dans peu de temps encore, ils ne Le verront plus, car Il doit aller vers le Père, mais aussi que, dans peu de temps, ils Le verront à nouveau (Jn 16, 12-13 ; 16-33). Cette promesse s’accomplit d’abord lors des apparitions du Christ à Ses disciples après Sa résurrection, apparitions auxquelles le monde dans son ensemble ne put participer. Par la suite, eut lieu Sa disparition finale lors de Son Ascension et Sa réapparition au Jour de la Pentecôte dans le Saint Esprit qui, depuis lors, forme la plénitude du Christ dans chacun des disciples et des fidèles qui sont devenus, ou deviennent, réconciliés avec le Christ et amis de Dieu (Jn 16, 27), après avoir dépassé l’état de serviteur ou d’esclave (Jn 15, 14-15).

La désignation paulinienne de l’Église comme Corps du Christ résulte de la façon nouvelle dont la nature humaine du Christ communique, dans le mystère de la présence de Dieu en son Ange-Logos, Sa gloire aux illuminés et aux glorifiés en Se multipliant Soi-Même indivisiblement dans cette gloire. Ainsi, depuis la Pentecôte, la nature humaine du Christ est aussi multipliée indivisiblement, de telle sorte qu’elle existe in toto (en totalité) dans chacun des réconciliés, des amis de Dieu. C’est cela dont le Christ avait prédit l’accomplissement dans l’Évangile de Jean (Jn 14, 23).

Chaque ami de Dieu porte le Corps total du Christ et, en même temps, tous les amis de Dieu sont un seul Corps du Christ assemblé en un même endroit (epi to auto), partageant un même pain et une même coupe. Tel est le Mystère de l’Église établi le jour de la Pentecôte et toute la Vérité dans laquelle le Christ avait promis que le Saint Esprit conduirait Ses amis. Aussi, le Corps Christ est-Il en construction, bâti par l’addition des illuminés et des glorifiés de chaque génération, jusqu'à son achèvement ultime à la fin des temps.

Avant la Mort et la Résurrection du Seigneur, même les glorifiés, comme les patriarches et les prophètes, sont morts d’une mort à la fois physique et spirituelle, attendant leur résurrection spirituelle et physique – ce que les Pères nomment la première et la seconde résurrection. La mort spirituelle consiste soit à ne pas voir la gloire de Dieu, soit à voir cette même gloire comme un feu consumant et comme les ténèbres extérieures de l’enfer. La première résurrection consiste à avoir d’une façon permanente et ininterrompue la vision de la création dans la gloire de Dieu en Christ, comme l’ont dorénavant, depuis la mort et la résurrection du Christ, ceux qui se trouvent dans la communion des saints de l’autre côté de la mort. Ils ont accompli leur mariage avec le Christ, et ce mariage sera rendu complet par la résurrection universelle et la restauration de tout. De ce côté-ci de la mort, les fidèles sont fiancés en vue de s’unir de façon permanente avec la gloire du Christ. Ils ont l’arrabôna tou Pneumatos, le gage du Saint Esprit dans leurs cœurs (2 Co 1, 22 ; 5, 5 ; Ep 1, 14).

Aucune réconciliation n’est possible en dehors du Mystère de la Croix qui, en retour, est identique à la glorification. Personne ne peut devenir un ami de Dieu s’il ne prend pas volontairement sa propre croix et s’il ne suit pas le Christ. Être glorifié signifie être crucifié, ce qui veut dire, en retour, avoir le pouvoir en Dieu de transformer l’amour-propre intéressé en un amour semblable à l’amour de Dieu et qui ne cherche pas son bien propre. Cette réconciliation de l’homme avec Dieu agissait chez les Patriarches, les Prophètes, les Apôtres avant la crucifixion, parce qu’ils participaient par avance au Mystère de la Croix. Pour cette raison ils devenaient amis de Dieu et recevait le don d’audace pour plaider devant Dieu pour le salut des autres.

Le mystère de la Croix est le pouvoir de réconciliation incréé qui vient de Dieu et qui soigne les maladies de tous ceux qui acceptent de faire cette cure en obéissant, jusqu’à la mort, à la volonté de Dieu le Verbe, Celui qui donna la Loi à Moïse et les Béatitudes aux Apôtres.

La crucifixion volontaire du Seigneur de Gloire est la parfaite manifestation dans l’Histoire du pouvoir du Mystère de la Croix, mais non la seule. Chaque glorification d’un ami de Dieu, à la fois avant et après la crucifixion du Christ, est aussi une manifestation du pouvoir de ce Mystère.[5]

 

NOTES

 

[1] Saint Basile, Contre Eunome II, 18, 609 a-b, SC 305, Paris, Cerf, 1983, p. 70-73.

[2] Ibid., p. 74-75.

[3] Naos, « temple », voir : 1 Cor 3, 16 ; 1 Cor 6, 19 ; 2 Cor 6, 16 ; Eph 2, 21-22. Monê, « demeure », voir : Jn 14, 23.

Le passage de Jn 1, 35-39, où les deux disciples demandent à Jésus où il demeure (verbe Menein, même racine que Monê) et finissent par rester un jour avec Lui, est interprété par Romanidès comme une expérience de transfiguration. Les disciples de Jean n’ont pas demandé à Jésus l’adresse de son domicile, mais la communication de la gloire dans laquelle Il réside.

[4] Jean Romanidès fait allusion à une doctrine selon laquelle l’Église prend, avec le temps, une meilleure connaissance du dogme. C’est dans les communautés de tradition augustinienne qu’une telle théorie a été développée, en particulier dans le catholicisme romain, à partir du IXe siècle. Aux théologiens orthodoxes qui leur demandaient : « Pourquoi avez-vous ajouté le filioque dans le Credo ? », les scolastiques répondirent : « C’est un progrès dans la compréhension du dogme ».

[5] Au sujet du Mystère de la Croix, la justification et laréconciliation, voir mon Péché originel, Athènes, Éd. Domos (en grec) 1957, p. 60-62 et surtout p. 85. [n.d.a]

Voici quelques extraits de ces passages du Péché originel  de Jean Romanidès :

« Au cours de toute la période patristique de l’Église en Orient, dominait la conception biblique que le Verbe s’est fait chair "afin de briser, par sa mort, celui qui a l’empire de la mort, c’est-à-dire le diable" (He 2, 14. À quoi s’ajoute le témoignage de toute l’hymnologie de l’Église). "C’est pour détruire les œuvres du diable que le Fils de Dieu a paru" (1 Jn 3, 8). Mais puisque, après Augustin, a prévalu en Occident l’opinion que Satan et la mort n’étaient que des instruments de la colère divine, le dogme de la Rédemption a pris, comme on l’a vu, un autre aspect, pour évoluer enfin jusqu’aux formes connues de la théologie occidentale. Étant donné que le diable et la mort sont considérés comme des instruments de la justice divine, leur destruction ne peut être considérée comme le but de la Manifestation divine, mais seulement comme son effet " ».

« Il est très paradoxal, et même tragique, de voir les critiques actuels du Nouveau Testament qui s’occupent du problème de l’unité interne des Évangiles Synoptiques, en particulier de Marc, ne pas prendre au sérieux le fait que la destruction de la puissance de Satan est le maillon qui lie et donne l’unité aux Évangiles. Ceci apparaît dans l’Évangile de Marc, où nous pouvons discerner, en bref, le plan suivant :

1) Prophétie du baptême dans l’Esprit Saint (par Lequel, aujourd’hui encore, Satan st détruit dans le baptême).

2) Accomplissement de cette prophétie en Christ.

3) Lutte directe et triomphe, dans l’Esprit, du Christ contre le diable ;

4) et, comme suite de cet événement : annonce de la venue du règne de Dieu (règne qui, en Christ, commence désormais à expulser le royaume de Satan).

5) Vocation des disciples.

6) Généralisation de la réalisation du règne des deux, par l’expulsion des esprits impurs et par la guérison des malades – qui se parachève dans la résurrection des morts hors du tombeau, par la Mort et la Résurrection du Christ. « Si c’est par l’Esprit de Dieu que je chasse les démons, c’est que le règne de Dieu est arrivé jusqu’à vous » (Mt 12, 28 ; Lc 11, 20 ; Mc 3, 27-29) ».

Romanidès écrit encore : « Il est manifeste que l’Ancien et le Nouveau Testament font clairement la distinction entre : 1) l’existence d’hommes justes et 2) leur salut.

Avant la mort et la résurrection du Christ, il y avait des justes, mais ceux-ci n’avaient pas encore vu le Jour Salutaire du Seigneur. "Voici, il y avait à Jérusalem un homme appelé Syméon. Cet homme était juste et pieux" (Lc 2, 25). Cet homme était donc juste, avant la mort du Seigneur et avant d’avoir vu le Christ. Mais, après L’avoir vu, il rendit grâces à Dieu : "parce que mes yeux ont vu ton salut que tu as préparé devant tous les peuples" (Lc 2, 30-31) ».

L’auteur cite encore Lc 1, 19 ; Lc 1, 6 ; Mt 9 ; 13 ; Mc 2, 17 ; Lc 5, 32 ; Mt 23, 35 et poursuit :

« Un examen objectif de ces passages, à partir des données augustiniennes, conduit automatiquement à l’impasse, en ce qui regarde le problème de la nécessité de la Grâce Divine pour le salut. Voici que des hommes justes sont mentionnés dans le Nouveau Testament, qui n’avaient pas eu besoin du sacrifice de la Croix du Seigneur pour devenir justes (Pasteur d’Hermas, parabole IX, 16, 1-7). Cependant, du moment que le mort est une punition infligée par Dieu, comment les justes meurent-ils ? Les deux réponses de l’Occident à cette question continuent d’être celles d’Augustin et celle de Pélage. Selon ces réponses, les justes de l’Ancien Testament n’étaient pas réellement des justes, puisque co-coupables d’Adam, ce pourquoi ils sont morts ; ou, alors, ils étaient vraiment justes, et dans ce cas leur mort a été un simple phénomène naturel venu de Dieu, puisqu’Adam, selon Pélage, serait mort d’une manière ou d’une autre. Ainsi donc, le Nouveau Testament semble dire une chose et son contraire, en affirmant que, par le péché d’un seul, la mort est entrée dans le monde, qu’il i eut des justes avant le Christ, qu’ils sont morts néanmoins, et que la justification apparaît avec le Christ. Cette contradiction apparente ne reçoit de solution que si l’on prend sérieusement en  compte que, dans toute tradition scripturaire et patristique grecque, domine l’enseignement selon lequel il y a dans le monde une injustice, dont ni le justes ni Dieu ne sont la cause. Ainsi la mort ne vient pas de Dieu ni du péché originel de l’enfant nouveau né (Jn 9, 1), mais de l’état de péché hérité et du diable. "Car la création a été soumise à la vanité, non de son gré, mais à cause de celui qui l’y a soumise" (Rm 8, 20). Même si, avant la mort du Christ, il y avait des justes, ils étaient injustement détenus par Satan et provisoirement sous l’emprise de la mort. Bien que "la foi d’Abraham lui fut comptée comme justice" (Rm 4, 9), il n’en fut pas pour autant sauvé quand il crut. La promesse du salut faite à Abraham n’a été accomplie qu’en Christ. À Abraham n’a été donnée que la promesse, non le salut même. À Moïse a été donné la loi, mais non le salut. C’est pour cela que Paul insiste sur le fait que la loi ne sauve pas. Seul le Christ sauve. "S’il eût été une loi qui pût procurer la vie, la justice viendrait réellement de la loi" (Ga 3, 21). Il est très clair, d’après ce passage, que Paul identifie justification et vivification. Ainsi, la justification des justes qui étaient détenus injustement ou provisoirement par la mort et par le diable, c’est justement leur vivification elle-même, c’est-à-dire la dispensation qui leur ait faite par le moyen du sacrifice de la Croix, de l’énergie et de la grâce incréée et vivifiante du Saint Esprit ».

Souhaitant montrer l’existence des justes d’avant la Croix, Romanidès cite encore l’Homélie XI de saint Grégoire Palamas :

«  Nul ne s’est jamais réconcilié avec Dieu, sinon par la force de la Croix [...] 

Sur tous les hommes, comment s’en fût-il trouvé un seul qui pût se renouveler et rentrer dans l’amitié de Dieu par l’Esprit, tant que subsistaient, non détruits, le péché et la vie selon la chair ? Telle se révèle justement la Croix du Christ : destruction du péché [...]

Grand fut portant le nombre des amis de Dieu, avant comme après la Loi, alors que la Croix n’avait pas encore paru. Dieu Lui-même en témoigne et le roi-prophète David confirme qu’il existait de son temps de tels amis de Dieu, lorsqu’il déclare : "Tes amis, ô Dieu, sont l’objet de toute mon affection". Comment des hommes qui ont vécu avant la Croix ont-ils pu mériter ce titre d’ami de Dieu ? Je vous l’expliquerai, si vous me prêtez une oreille attentive et amoureuse de Dieu. 

De même que l’homme du pêché, le fils d’iniquité,appellé l’antichrist, n’a pas encore paru, et que néanmoins le disciple bien-aimé du Christ, Jean le Théologien, dit : "À présent, bien aimés, l’antichrist vient" ; de même, la Croix était déjà chez les ancêtres, avant que son mystère ne fût accompli. Écoutons le grand Paul nous expliquer clairement comment l’antichrist est présent parmi nous sans être manifeste : "Son mystère, dit-il, agit en en nous". Voilà comment la Croix du Christ existait chez les ancêtres avant d’avoir paru : son mystère agissait en eux. Et sans parler maintenant d’Abel, de Seth, d’Enos, d’Enoch, de Noé et de tous ceux qui, jusqu’à Noé et ses successeurs immédiats, ont plu à Dieu, je me tournerai vers Abraham, qui fut nommé Père d’une multitude de nations, des Juifs selon la chair et de nous selon la foi.

Partant, par conséquent, d’Abraham, notre Père selon l’Esprit, des commencements de sa vie vertueuse et du premier appel que Dieu lui adressa, cherchons quelle parole Dieu lui fait entendre avant tout autre. "Sors de ta terre, lui dit-Il, et de ta famille, et va dans la terre que je te montrerai". Cette parole renfermait le mystère de la Croix. Paul, en effet, qui se glorifiait dans la Croix, ne dit-il pas autre chose quand il avoue : "Le monde est crucifié pour moi". Pour qui s’exile ou fuit le monde sans se retourner en arrière, la patrie charnelle et le monde sont morts et détruits : et cela, c’est la Croix. »

 

Ce texte est un extrait du premier livre

de Jean Romanidès  en traduction française

 aux Éditions l'Harmattan

dans la collection Contrelittérature

 

 

 

 

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