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lundi, 12 mars 2018

Antisémitisme et antisionisme

 

UN TERRORISME SÉMANTIQUE D'ÉTAT

Alain Santacreu

 

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   Le 16 juillet 2017, jour de la commémoration du 75e anniversaire de la rafle du Vél’ d’hiv’, le nouveau chef de l’État, Emmanuel Macron, termina son discours par cette profession de foi enflammée : « Nous ne céderons rien à l’antisionisme, car il est la forme réinventée de l’antisémitisme. » Il fallait entendre cette petite phrase comme un soutien ostensible à la politique de Benjamin Netanyahou, présent dans l’auditoire, étrangement invité à cette cérémonie alors qu’aucun dirigeant israélien n’y avait jamais été convié jusque-là.
 Pour Dominique Vial, journaliste et historien, spécialiste du Proche-Orient et notamment du conflit israélo-palestinien, ces paroles prononcées par le président de la République représentaient une voie de fait contre la liberté d’expression et une faute politique grave qui risque de valider le délit d’opinion [1]. D’ailleurs, à peine quelques semaines plus tard, comme en écho à ces propos présidentiels, le représentant du Crif, Francis Kalifat, s’empressera d’exiger qu’une loi soit votée pour sanctionner l’antisionisme.
  Si l’antisémitisme est un délit, l’antisionisme est une opinion et, en les confondant, on vise à interdire toute critique de la politique de Tel-Aviv.
  Le gouvernement israélien, issu des élections de 2015, s’affirme aujourd’hui comme un des plus extrémistes qu’Israël ait connu. Le premier ministre Netanyahou est un pur produit du sionisme révisioniste de Zeev Jabotinsky – dont son père, Bension Netanyahou, fut le secrétaire particulier, dans les années 30. Un processus de radicalisation totalitaire a été enclenché qui n’a plus rien à voir avec ce mouvement des kibboutzim qui fut l’une des plus prometteuses expérimentations sociales du 20e siècle, avant sa captation par le révisionnisme colonisateur.
  L’historien Zeev Sternhell, dans une tribune publiée dans le journal « Le Monde » du 17/02/2018, n’a pas hésité à condamner : « En Israël pousse un racisme proche du nazisme à ses débuts ». Cette déclaration a provoqué la réprobation instantanée des médias pro-sionistes. Dans son éditorial de la revue Causeur du 20/02/2018, Élisabeth Lévy a pourfendu le traître de sa plume acérée : « Zeev Sternhell, savant utile de l’antisionisme ». On croirait réentendre le discours macronien du Vél’ d’hiv’ ! Selon cette rhétorique du terrorisme sémantique, toute critique du sionisme est inacceptable puisqu’elle fait le jeu de l’antisionisme.
  Comme l’antifascisme, le chantage à l’antisémitisme est une technique de parasitage de l’esprit critique. Hannah Arendt a fait de l’instrumentalisation de l’antisémitisme un des thèmes de son livre Les Origines du totalitarisme. L’identification de l’antisionisme à l’antisémitisme s’apparente à la stratégie de la reductio ad hitlerum conceptualisée par le philosophe Leo Strauss dans Droit naturel et histoire (1953). D’ailleurs, comme le fait observer Dominique Vidal, la répression des Juifs sous Staline suffirait à montrer l’inanité d’une telle identification. En effet, la répression antisémite dans l’URSS de l’après-guerre, de 1947 à 1953, coïncide avec une des rares phases pro-sionistes des dirigeants soviétiques. Durant cette période, l’émigration en provenance des « démocraties populaires » et surtout les livraisons d’armes via Prague aux forces juives en Palestine permettront à ces dernières de l’emporter dans la guerre de 1947-1949. Plus récemment, Netanyahou a démontré que les antisémites étaient fréquentables s’ils soutiennent la politique sioniste d’Israël, en rendant visite, juste après son séjour à Paris pour la commémoration du 75e anniversaire de la rafle du Vél’ d’hiv, à son homologue hongrois Vicktor Orban qui venait de réhabiliter Miklos Horthy, collaborateur de l’Allemagne nazi. On voit que l’antisémitisme peut faire bon ménage avec le sionisme. Theodor Herzl, le fondateur du sionisme ne disait-il pas : « Les antisémites seront nos amis les plus sûrs et les pays antisémites nos alliés. » [2]
  En vérité, le discours macronien du 6 juillet 2017 pourrait poser les prémisses d’une loi liberticide qui, sous la caution de la lutte contre l’antisémitisme, nous obligerait à accepter une annexion de la Cisjordanie. La loi dite de « régularisarion », adoptée par la Knesset, le 2 février 2017, est-elle la première étape de ce programme ? Cette loi, pour l’instant gelée par la Cour suprême israélienne, autorise l’annexion de l’ensemble des colonies illégales baptisées « avant postes ». Ainsi, à plus ou moins long terme, c’est toute la Cisjordanie qui passerait sous la souveraineté d’Israël.
  Paradoxalement, si la Cour suprême validait cette loi, ce programme d’annexion sioniste relancerait l’idée d’un État unique. En effet, face à l’impasse du processus de paix, la persistance de l’échec des accords d’Oslo et le perpétuel morcellement des territoires palestiniens occupés, la constitution d’un État binational en Palestine apparaît de nouveau comme la seule alternative, toute la question étant le type de binationalisme qui serait mis en place.
  L’idée d’un État binational fut lancée dans les années 20 par Martin Buber et Judah Magnes, recteur de l’Université hébraïque de Jérusalem. À partir de leur association du Brit Shalom, l’Alliance de la paix, et sur les traces du sionisme éthique d’Ahad Ha’am, ils soutenaient la réalisation d’un État binational, dans un esprit de totale égalité des droits politiques entre les deux communautés, juive et arabe. Hannah Arend se rallia à cette vision d’un État fédéré mais, après le plan de partage de l’ONU, entre deux États juif et arabe, l’idée binanationale fut totalement oubliée.
  À la fin des années 70, après la guerre de Kippour, une partie de la droite du Likoud proche du mouvement des colons envisagea de nouveau la possibilité d’un État binational, à la condition qu’il s’établisse selon les principes intangibles du sionisme révisioniste, c’est-à-dire un État juif avec une minorité arabe. Si un tel scénario devait se produire aujourd’hui, il faudrait s’attendre à des déplacements de populations afin que la démographie palestinienne soit maintenue inférieure à la population israélienne. La reconnaissance d’un État d’apartheid sioniste pourrait alors trouver une légitimation sous le prétexte de se prémunir de l’antisémitisme arabe. 

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 Le subterfuge rhétorique du terrorisme sémantique repose sur cette équation : sionisme=judaïsme. C’est ainsi que Michaël Bar-Zvi, disciple de Pierre Boutang et de Zeev Jabotinsky, par le seul titre de son dernier livre [3] voudrait suggérer que le sionisme révisioniste proposerait une « politique de la transmission » alors qu’il a induit, au contraire, une politique de rupture et de séparation avec le judaïsme. L’idéologie sioniste se fonde sur la négation de l’exil : refus de la diaspora juive et déni de l’exil imposé aux palestiniens.
  Moïse, le fondateur du peuple juif, n’a jamais mis les pieds en Palestine et le roman sioniste a tort de se référer à lui. En effet, l’entrée dans Canaan aurait dû s’opérer miraculeusement, sans aucune intervention humaine. Par l’épreuve des « Eaux de Mériba » (Nombres, 20, 8-13), Yahvé ordonne à Moïse de faire couler l’eau d’un rocher en lui parlant : le miracle doit uniquement s’opérer par le Verbe divin. Mais Moïse frappe le rocher et utilise ainsi la violence humaine pour accomplir sa mission. Le Zohar explique qu’Israël a été chassé de sa terre parce qu’il y était entré par la guerre et la violence.
  D’autre part, si Moïse a promis aux enfants d’Israël la terre de Canaan, aux fils de Lévi, c’est-à-dire à sa propre tribu, il a annoncé qu’ils ne possèderaient rien dans le pays d’Israël : « L’Éternel dit à Aaron : Tu ne possèderas rien dans leur pays, et il n’y aura point de part pour toi au milieux d’eux; c’est moi qui suis ta part et ta possession au milieu d’Israël. » (Nombres, 18, 20.) Moïse lance l’histoire juive sur une voie dialectique. L’idéal des uns sera de conquérir et de coloniser la terre de Canaan, ce sera le sionisme de Jabotinsky ; l’idéal des autres sera de trouver en Israël non un territoire mais l’héritage du judaïsme, ce sera le sionisme de Martin Buber. Seul ce dernier type de sionisme pourrait un jour ouvrir la perspective d’un État binational laïc et démocratique où le citoyen juif vivrait son exil en terre d’Israël.

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  Un élément stratégique essentiel de la rhétorique pro-sioniste a été la réinterprétation du conflit israélo-palestinien à l’aune de la « théorie du choc des civilisations » de Samuel Huntington. Cette réinterprétation tend à disculper l’État hébreu en transférant l’espace local du conflit vers un espace global marqué par une guerre planétaire entre l’axe du bien et l’axe du mal. La peur de l’islam, depuis les attentats du 11 septembre 2001, a resserré le sentiment d’appartenance.
  Le 26 septembre 2001, à peine deux semaines après le drame des Twin Towers, on pouvait lire dans le grand quotidien Haaretz, cette effarante déclaration de Roger Cukiermann, à l’époque président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) : « Lorsque Sharon est venu en France, je lui ai dit qu’il doit absolument mettre en place un ministère de la Propagande, comme Goebbels. »
  En France, cette méthode préconisée par Cukiermann a été planifiée autour de la « judéophobie » et du « terrorisme islamiste ». Le glissement sémantique de l’antisionisme à l’antisémitisme a permis de procéder à une inversion des rôles dans l’opinion. Selon cette grille de lecture, le conflit israélo-palestinien n’est plus perçu comme un conflit politique mais comme un conflit ethnico-confessionnel. Cette analyse transforme les Israéliens en victimes d’une haine séculaire qui voudrait les éradiquer.
  C’est ce glissement sémantique qu’a officialisé Emmanuel Macron, lors de la commémoration du 75e anniversaire de la rafle du Vél’ d’hiv’. Sa déclaration annonçait l’officialisation à venir du ministère rêvé par Roger Cukiermann !

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NOTES :

[1] Cf. Dominique Vidal, Antisionisme=Antisémitisme. Réponse à Emmanuel Macron, Éditions Libertalia, 2018.

[2] Cité par Hannah Arendt dans « Réexamen du sionisme » in Auschwitz et Jérusalem, Deuxtemps Tierce, 1993, p. 115-116)

[3] Michel Bar-Zvi, Pour une politique de la transmission. Réflexions sur la question sioniste, Les provinciales, 2016.

 

 

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