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mercredi, 26 avril 2006

Avant-dire N°14

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« PARTI » DE FRANCE ET D’EMPIRE
 
par Christian Rangdreul

 

« Une Europe ayant gommé de son passé la civilisation chrétienne ne peut que déboucher sur un matérialisme tragique, aussi dangereux que la doctrine du communisme. » Marie-Madeleine Davy (1)

 

Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, Georges Bernanos s’avisa de poser une question insolente au « Monde libre ». Ce monde qui, par un extraordinaire tour de passe-passe n’eut aucun scrupule à livrer la Pologne à la Russie soviétique, alors que le prétexte légitime qui avait poussé la France et l’Angleterre à entrer en guerre était de réagir à son invasion par l’Allemagne nazie. L’auteur du Dialogue des carmélites lança ce cri : « La liberté pourquoi faire ? »
Aujourd’hui, la patrie de Karol Wojtyla fait son entrée dans l’Union européenne avec une importante partie de l’Europe centrale, slave en majorité, événement capital pour les destinées de la grande presqu’île ouest-eurasienne. Rodzinna Europa, cette « Autre Europe » dont témoigna Czeslaw Milosz, contribuera-t-elle à donner naissance à une « Europe Autre » ? Ce n’est pas impossible quand on sait que la Mitteleuropa est constituée de peuples qui, si l’on en croit de nombreux témoignages, ont conservé la mémoire culturelle et historique de leur appartenance passée à des entités géopolitiques aussi importantes que l’Empire Austro-Hongrois et le Royaume Polono-Lituanien.
À priori, et nonobstant la pitoyable manière dont se " construit " l’Union européenne, il y aurait donc plutôt lieu de se réjouir. Pourtant, le salutaire " pourquoi faire ? " de Bernanos, par delà les ans, ne manque pas de trouver écho dans l’esprit de ceux qui n’adhèrent pas à l’optimisme béat, réel ou feint, des " malins trop malins " qui nous refont le coup des lendemains qui chantent. Alors, oui, vraiment, " L’Europe pourquoi faire ? "
En s’élargissant vers son Centre, l’Europe, à l’évidence, ouvre un chapitre crucial de son histoire, mais ou est l’idée, au sens platonicien et gaullien du terme, propre à constituer l’âme de son écriture ? Sera-t-elle contrelittéraire cette écriture, comme nous le souhaitons évidemment ici, tant il est vrai qu’il ne s’agit pas seulement, pour l’Europe, de s’écrire en s’élargissant mais aussi en s’élevant ? Ou se bornera-t-elle à incarner tant bien que mal les pauvres principes d’une Constitution dont la médiocrité le dispute à son inadéquation présente ?
On ne saurait jamais assez s’en convaincre, la calamiteuse " construction " européenne souffre depuis sa naissance d’un vice rédhibitoire, celui de ne pas avoir respecté la hiérarchie naturelle des valeurs présidant à la vie des sociétés humaines et qui place la culture – les idées – au sommet ; l’économie – le ventre – en bas ; et le politique – la décision – entre les deux. L’Europe a commencé de se construire en sacrifiant au " règne de la quantité " par la création en 1951 de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier ! Erreur fatale, entraînant des crises en cascade, et que les " bâtisseurs " essaient aujourd’hui de pallier avec leur projet de Constitution européenne insipide mais résolu à gommer l’origine chrétienne de l’Europe et à en terminer avec ses nations, la France en tout premier lieu.
Dans le beau témoignage d’amour rendu à l’Europe par Louis Lallement sous le titre La vocation de l’Occident (2), figure, parmi les gravures insérées dans l’ouvrage, celle où l’on voit " L’Empereur d’Occident ", Charlemagne, les jambes largement écartées tel un compas délimitant une aire géographique, géopolitique et géospirituelle. De sa main droite, il tient fermement, la pointe dirigée vers le Ciel, la grande épée appelée Joyeuse " comme le cri de France est Montjoie, comme les lys de France ont fleuri à Joyenval, comme la régente de la terre du Graal est appelée Réponse de Joie ; car l’Évangile est "la bonne nouvelle" et le Christ est venu apporter aux hommes la vérité et la grâce divines afin qu’ils aient en eux, a-t-il dit, la plénitude de la joie éternelle. " La tête du " Salomon de la nouvelle Alliance " est tournée vers " le globe du monde que domine la croix ", tenu au bout de son bras auquel est suspendu un écu " parti de France et d’Empire " (3) représentant l’Aigle bicéphale du Saint-Empire et les Trois Lys du Royaume de France.
Cette icône illustre remarquablement le caractère vain de l’opposition séparant " souverainistes " et " européistes ". Les souverainistes ont mille fois raison lorsqu’ils s’élèvent contre les pertes de souveraineté qui attentent à la liberté de la France ; mais ils ont mille fois tort lorsqu’ils s’opposent à l’Empire en ne le distinguant pas de sa parodie, l’impérialisme moderne, et en oubliant l’injonction du Christ : Ut unum sint. Les européistes ont mille fois tort lorsqu’ils veulent construire l’Europe en déconstruisant les vieilles nations européennes alors qu’elles constituent les seuls socles suffisamment solides sur lesquels peut être bâtie la " maison commune européenne " ; mais ils ont mille fois raison lorsqu’ils s’opposent aux égoïsmes nationaux et appellent de leurs vœux une Europe-puissance, seule capable de s’opposer à l’impérialisme américain.
Aux uns et aux autres manque l’esprit de synthèse, cette folle logique du tiers-inclus qui, soumettant les contraires au pressoir de l’intellectus fidei, en extrait le nectar de la connaissance vraie d’où naît l’action juste. Car souveraineté et puissance ne peuvent trouver leur finalité en elles-mêmes mais dans un Principe qui vient d’En Haut comme le Maître l’enseigna à Pilate. Et la ré-évangélisation souhaitée par le Pape Jean Paul II ne concerne pas seulement la France fille aînée de l’Église mais l’Europe chrétienne toute entière à qui ce grand européen s’adressa en ces termes depuis Saint-Jacques de Compostelle : " Je lance vers toi vieille Europe un cri plein d’amour : Retrouve-toi toi-même. Sois toi-même. Découvre tes origines. Avive tes racines. "
Alors, n’ayons pas peur, et saluons par une « Réponse de Joie », malgré les difficultés qui l’accompagnent, l’entrée dans l’Union européenne de la Pologne de Mieszko, de la Tchéquie de saint Vanceslas, de la Hongrie de saint Etienne et des autres. En attendant l’arrivée de l’Ukraine et de la Russie de saint Vladimir qui permettra à l’Europe de saint Benoît et des saints Cyrille et Méthode, ses patrons, de respirer enfin avec ses deux poumons, celui de l’Ouest et celui de l’Est, le Catholique et l’Orthodoxe.
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1. Marie-Madeleine Davy, Nicolas Berdiaev ou la révolution de l’Esprit, Albin Michel, 1999.
2. Louis Lallement, La Vocation de l'Occident, La Colombière; 1947. Un an avant la première sortie de ce remarquable ouvrage, le même auteur fit paraître son non moins remarquable Essai sur la mission de la France.
3. Dans le vocabulaire de la héraldique, le "parti" sépare l'écu en son milieu par une ligne verticale.