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mercredi, 28 mai 2008

Le Hiéron du Val d'Or

 
Oportet illum regnare !
 
par Marikka Devoucoux

 


     Les ouvriers de la onzième heure n'ont pas terminé leur tâche qui diffère de celle des ouvriers des premières heures du Jour. Aux premiers, la tâche d'incarner la Parole de Dieu dans les nations naissantes ; aux derniers, la mission plus ardue de la faire à nouveau retentir au cœur des nations moribondes qui ont renié leur origine spirituelle.
     Ce qui fut donné en héritage à la France n'a pas été transmis aux dernières générations. L' « évolution » s'est substituée ainsi à la dévolution pour une falsification de l'Histoire, insulte faite à la conscience religieuse des peuples.
     À chaque période de crise, Dieu suscite une œuvre critique. C'est ce que fut le  Hiéron durant un quart de siècle, à la jonction du XIXe et du XXe  siècle.
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     Sous les auspices votifs des grands pèlerinages de 1875 où l'élite chrétienne de la France se regroupe sous l'égide du Sacré-Cœur, et dans sa capitale même, Paray-le-Monial, le Hiéron du Val d'Or naît de la rencontre de deux hommes, passionnés du Christ et de son Église, dont toute la vie, centrée sur l'Eucharistie, sera vouée au culte du Sacré-Cœur. Ses deux initiateurs sont le baron Alexis de Sarachaga et le Père Drevon, un jésuite. Ils vont bientôt cristalliser autour d’eux un petit groupe d’hommes de bonne volonté. Félix de Rosnay, dans l'ouvrage qu'il a consacre au Hiéron du Val, les présente comme « des hommes de dévouement unis par le dogme catholique, guidés par le Père Drevon, [qui] veulent instituer un centre d'Études et de Lumière où s'imposerait cette conclusion : Oportet illum regnare ! » (Il faut qu'Il règne !).
     C'est après la fondation de la « Communion réparatrice » à Paray que le Père Drevon fait la connaissance d'Alexis de Sarachaga, lors d’un grand pèlerinage international, rencontre qui posera les bases de la fondation du Hiéron du Val d'Or. Ensemble, ils concevront cette Œuvre originale qui continue de susciter bien des interrogations, tant sur ses buts que sur ses réalisations, se voulant « Œuvre de relèvement historique international à la gloire du Christ-Hostie, Roi immortel des siècles en union avec la Communion réparatrice ».
     Le Hiéron (du grec « hieros », sacré) désigne à la fois une enclave consacrée à la divinité et le temple-palais où les Aéropages élaboraient les lois pour la paix de la cité. C'est sur ce modèle, emprunté à l'Antiquité, que travailleront tous les collaborateurs au « Val d'Or », essayant de restituer toute l'Histoire du Christianisme dans la symphonie des traditions religieuses de l'Humanité.
     L'Œuvre, on le voit, est peu banale, et ne sera, on s'en doute, jamais populaire. C'est que l'écart est trop grand entre la conscience des Français, laminés par un siècle de destruction du patrimoine et de terreur exercée sur les esprits, et la connaissance de leur propre histoire qu'on leur apprend à oublier. La conscience semble meurtrie sous les coups de boutoir de l'esprit des Lumières et la limpide évidence de la Vérité ne peut plus être accueillie. Nonobstant, les chercheurs du Hiéron se feront un devoir de la démontrer, exposant en des synthèses très denses – mais peut-être un peu absconses – les résultats de leurs recherches, retraçant le Plan de la sagesse divine dans le plan temporel des destinées collectives.
     Le Musée du Hiéron se chargeait d'expliciter aux visiteurs ce plan hors du commun, et d'en faciliter l'accès au quidam quelque peu déconcerté par cet itinéraire.
     Le Musée comptait cinq salles dans lesquelles étaient exposé, avec le fruit de leurs recherches, le déroulement du projet et son plan d'ensemble qui ne sera, hélas, jamais achevé.
     L'idée-maîtresse était de prouver à l'intelligence du siècle que le Règne du Christ était une réalité destinée à être publiquement proclamée et de préparer, pour la fin de ce cycle, les esprits à cet avènement.
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La Salle des Fastes 
 
Les cinq salles du Musée se partageaient ainsi :

- La première salle : la salle des musées, expliquait le règne intellectuel du Christ-Hostie ;
- La deuxième salle : la salle des miracles, exposait les cartes et les tableaux sur les miracles eucharistiques ;
- La troisième salle : la salle des Pactes, rassemblait tous les pactes des nations chrétiennes et leurs drapeaux portant le signe christique ;
- La quatrième salle : la salle des Hommages, présentait les hommages-liges rendus au Christ-Roi par les chefs d'État, la féodalité, les ordres chevaleresques, les corporations communales et familiales ;
- La cinquième salle : la salle de réunion des membres, était la salle centrale dite « Aula fastorum » ou salle des Fastes, de forme octogonale. On y trouvait résumée la synthèse symbolique des travaux analytiques des quatre autres salles.

     Une équipe de chercheurs et de spécialistes (archéologues, philosophes, historiens, linguistes, ingénieurs, théologiens), aussi bien clercs que laïcs, y travailla 33 ans (de 1883 à 1916).
     « L'heure semble arrivée où les sociétés chrétiennes, sous peine de périr, devront reconnaître de nouveau, en droit et en fait, la suprématie sociale du Christ, et les peuples revenir aux sources de la vie, lesquelles sont au divin Sacrement », affirme le Hiéron.
     Le règne de Jésus-Christ, revue illustrée du musée et de la bibliothèque du Hiéron, se présente comme « désireuse de contribuer à indiquer la voie du Salut qui vient à cette heure acclamer le Seigneur au Saint-Sacrement comme Roi des peuples, Chef des États et souverain des sociétés libres ».
     Ce Règne du Christ-roi fut de tout temps annoncé. Le Hiéron s'est employé à l'expliciter en ces trente-trois années de labeur méconnu et enfoui sous l'indifférence du clergé et des fidèles. Ces derniers sont malheureusement très mal informés de ces vérités, puisqu'il est de bon ton, depuis que la France est devenue une république, d'affirmer, du point de vue théologique, que le Royaume du Christ n'étant pas « de ce monde », comme le Sauveur l'affirme Lui-Même, son Règne ne saurait concerner les nations chrétiennes et encore moins le monde entier. Sophisme aisément réfutable, car la confusion porte sur les mots « règne » et « royaume », mais confusion soigneusement entretenue. Le flou demeure donc toujours sur cette question : le Christ doit-Il régner ? La réponse du Hiéron fut celle qu’avait soutenue, trois siècles plus tôt, dans le secret et l'abnégation totale, la Compagnie du Saint-Sacrement : l'avènement du Règne du Sacré-Cœur que Lui-Même est venu annoncer à la France (avant Marguerite-Marie Alacoque) à Marie des Vallées.
 C'est cela que se sont employées à réaliser, à l’époque moderne, ces deux sociétés « discrètes », au milieu du foisonnement des loges secrètes dont le but était d'entraver la tâche des « Apôtres des derniers Temps ».
     Le Hiéron sera plus connu sous le nom de « Société du Règne social de Jésus-Christ », et deviendra en 1927, la « Ligue universelle du Christ-Roi », par un bref de Pie XI, élevé à la dignité d'archiconfrérie « Prima primaria », avec le pouvoir d'agréger toutes les associations apostoliques ayant même but et même nom.
     Cependant, la mission n'était pas encore achevée. La dévouée secrétaire de l'Œuvre, Jeanne Lépine-Authelain bat le rappel : « Ce but atteint – l'institution de la fête du Christ-Roi – il reste l'énorme tâche de combattre les erreurs scientifiques, philosophiques et littéraires dont les siècles précédents nous ont enténébrés (…) Si tous ces foyers qui s'allument viennent à se grouper et à se réunir, ce sera l'embrasement, le triomphe annoncé, accordé plus vite que nous n'osions l'espérer ! ». Ces paroles, écrites le 29 septembre 1925, peuvent nous laisser perplexe… 83 ans plus tard ! Ou, au contraire, nous inciter à y reconnaître la permanence surnaturelle de l'attente de Dieu au cœur de l'Humanité.
     Les membres du Hiéron se considéraient comme les « Apôtres des derniers Temps », démontrant par là leur affiliation à saint Louis-Marie Grignon de Montfort, missionnaire de la France paganisée du XVIIe siècle, lui-même héritier des révélations du Christ à Marie des Vallées qui inaugura la « Fin des Temps », mystique auprès de qui bien des frères de la Compagnie du Saint-Sacrement furent en relations suivies. Il se pourrait d'ailleurs que certains membres du Hiéron aient connu l'activité de la Compagnie et se soient voulus les continuateurs de cette Œuvre, aujourd'hui toujours méconnue, bien que des recherches historiques récentes tendent à redécouvrir l'ampleur de l'influence qu'elle exerça sur la société du XVIIe siècle, à la veille des grands troubles idéologiques de la révolution française.
     On peut considérer l'Œuvre du Hiéron comme une tentative de revivification de l'esprit de cette Compagnie, travaillant à réactiver le ferment chrétien dans le peuple autour de la dévotion à l'Eucharistie et de la proclamation du Règne proche du Christ-Roi, tout juste annoncé au XVIIe siècle.
     Que reste-t-il de tant de peines prises pour le Royaume ?…
     Peu de choses semble-t-il… L'on sait que la bibliothèque fut vendue au monastère jésuite de Louvain et éparpillée depuis, ceci afin de rassembler des fonds pour réparer le toit du Musée !
     Les pièces de collection subirent le même sort que le précieux fonds de bibliothèque. Certaines seraient conservées au Vatican, en quelque coin perdu – ou préservé ?
     On peut regretter que cette somme de travail, destinée à récapituler la mystique, l’archéologie, l’histoire, la linguistique, la théologie et l’ecclésiologie, sous le seul Chef divin, par l'hommage eucharistique, ne soit approfondie, réactualisée et continuée, non pas « sous le manteau », mais sous le plein soleil de Dieu, sans crainte des incompréhensions inévitables, des vexations et persécutions diverses. Et si l'audience est limitée, qu'importe ! Elle y gagnera en profondeur. Car cette génération semble bel et bien perdue si son Sauveur ne lui est pas rendu publiquement, officiellement, universellement.
     L'hommage eucharistique, comme accès privilégié à la rénovation sociale par la Connaissance et l'Amour, voilà l'intuition du Hiéron pour le XXe siècle et les Temps de la Fin.
     Cette convergence des Sciences traditionnelles, héritées de l'Antiquité, ordonnées à la révélation chrétienne comme à leur centre ; cette allégeance de la sagesse et des initiations antiques à la Sagesse incarnée et à l'initiation baptismale catholique, réalisent cet accomplissement exprimé par le Christ : « Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir ».
     Ce projet, trop vaste pour une seule génération de collaborateurs, ne fut pas soutenu par les évêques de son temps. Loin de nous l'idée de nous en scandaliser. Le XXe siècle a rassemblé toutes les forces les plus hostiles au Christianisme pour tenter d'éteindre le Soleil eucharistique, aussi bien parmi les baptisés en voie de paganisation que parmi les authentiques Chrétiens, laissés dans l'ignorance des merveilles de leur Histoire et de la beauté surnaturelle des dogmes catholique.
     « Comprenez-vous le jeu de Satan ? Envahir d'abord la diplomatie, et de la diplomatie se glisser dans la doctrine (…) C'est la tactique de Satan de jeter de la sorte, surtout à Paris, comme à Lourdes et à Paray, le trouble dans les aspirations du peuple et des élites vers l'organisation d'un meilleur état social et politique. » ( Le Politicon, collège historique du Hiéron, préface aux instructeurs du nouveau Quadrivium, 8 décembre1896).
     Le Hiéron aurait décelé des phénomènes lucifériens qui toucheraient certaines régions marquées du sceau de l'Éternel en France. Phénomènes subtils, équivoques, exerçant une attraction mal définie, mais combien efficace pour le dérèglement des esprits !
     À la mort d'Alexis de Sarachaga, est désigné, selon sa volonté, pour successeur à la direction de l'Œuvre, M. de Noaillat, assisté de son épouse, Marthe, qui sera la principale promotrice de la fête du Christ-Roi, instituée par le Pape Pie XI, le 11 décembre 1925.
      La mission publique du Hiéron s'achève. L'Œuvre ne survivra que de peu à la mort de son fondateur. D'autant plus que les deux dernières survivantes, Marthe Noaillat et Jeanne Lépine-Authelain mourront accidentellement, en 1926.
     Cette dernière disait de son fondateur :  « M. de Sarachaga communiquait à ses fidèles ce sixième sens, appelé par Raymond Lulle l'Affatus, et que plus simplement notre maître vénéré nommait le sensum Christi. »
     Elle définit la petite assemblée des pèlerins solitaires du Hiéron de « groupe qui marche d'un pas sûr à la clarté éblouissante de l'Évangile et de la tradition. » (lettre à Paul Le Cour, du 29 octobre 1925, à Paray-le-Monial)
     Il reste encore sur notre sol, béni du Christ et de la Vierge, des lieux baignés de ces effluves spirituelles où demeurent ces espaces sacrés, les Hiérons indestructibles que le feu élémentaire ne peut atteindre, réceptacle du Feu de l'Esprit-Saint qui, déjà, rassemble les siens pour une nouvelle Pentecôte.
     Et tous les chercheurs solitaires, voués au Cœur blessé et glorieux du Rédempteur universel, sortiront un jour de leur « salle de travail » pour retrouver spontanément le chemin de la « Salle des Fastes » et s'y réunir à nouveau.