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samedi, 18 décembre 2010

La Passion de Saint-Exupéry

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 Dernière lettre de Saint-Ex, laissée à son chevet avant son dernier vol, à son ami Dalloz : « Moi, je fais la guerre le plus profondément possible… Si je suis descendu, je ne regretterai absolument rien. La termitière future m’épouvante. Et je hais leur vertu de robots. Moi, j’étais fait pour être jardinier. »

Le monde qui se profile est sans maison, sans village, sans patrie, sans famille, sans patrimoine spirituel. Il niera l’homme et Dieu, et sera livré au pur « divertissement, au détournement de l’humain. L’auteur posthume de Citadelle s’y découvre. « Il n’y a qu’un problème, un seul, redécouvrir qu’il est une vie de l’Esprit, plus haute encore, que la vie de l’intelligence. La seule qui satisfasse l’homme. »

Lecteur de Saint-Simon, La Bruyère, Pascal, l’aristocrate Saint-Exupery, nourri de la grande vision chrétienne et classique, donnera une dimension christique à son métier, sa passion – donnant à l’avion une portée non plus technologique mais essentiellement spirituelle et même mystique. L’avion porte la trace du jour et du plein, du vide et de la nuit, la seule vision d’un grand paradis que nul ne peut altérer et qui témoigne de la réalité d’un monde spirituel que les Babels modernes s’acharnent à trahir. Comme la charrue, char céleste, l’avion est un outil qui lui apprend la méditation et la contemplation. Terre, ciel, mer, désert. Comme Psichari ou Foucauld, Vieuchange ou Mermoz, Antoine le grand est en quête d’une solitude ramenée a la nudité des premiers éléments. A Cap Juby ou ailleurs, là seulement Saint-Ex approche le bonheur, qui a pour lui figure monacale – lui qui attendait comme une grâce ce qu’il appelait la « vocation de Solesmes » – érémitique. Eremos – paradis, fournaise. « C’est de cet enfer que s’apprend la vie, de cette solitude que s’espère la communauté des hommes, de cette pauvreté que naît la richesse intérieure, de ce dénuement que se pare la vérité. » Toujours, jusqu’au bout, l’épreuve du feu. « J’ai choisi l’usure maximum » déclare-t-il avant de partir au combat. « Je ne connais qu’un moyen d’être en paix avec ma conscience et c’est de souffrir le plus possible. De rechercher le plus de souffrance possible. Je ne pars pas pour mourir. Je pars pour souffrir et ainsi communier avec les miens… Je ne désire pas me faire tuer, mais j’accepte bien volontiers de m’endormir ainsi. » Dans son portefeuille, une image de sainte Thérèse de Lisieux pour laquelle il avait une dévotion secrète. Pour lui, loin des médiocrités de son existence terrestre, le ciel était le seul endroit où il pouvait passer à faire du bien – et finir bien. « Accepter d’être tué en simple charpentier. »

Aviation mystique ? Oui, en ses temps héroïques… Dans Le lotissement du ciel (1949) Blaise Cendrars évoquait « Le nouveau patron de l’aviation », saint Joseph de Cupertino, le franciscain lévite, et dès 1913 un autre poète, Guillaume Apollinaire, déclamait dans « Zone » un Christ aviateur. Envoi – ou envol :

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« C'est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs
Il détient le record du monde pour la hauteur

Pupille Christ de l'œil
Vingtième pupille des siècles il sait y faire
Et changé en oiseau ce siècle comme Jésus monte dans l'air
Les diables dans les abîmes lèvent la tête pour le regarder
Ils disent qu'il imite Simon Mage en Judée
Ils crient s'il sait voler qu'on l'appelle voleur
Les anges voltigent autour du joli voltigeur
Icare Énoch Elie Apollonius de Thyane
Flottent autour du premier aéroplane
Ils s'écartent parfois pour laisser passer ceux que transporte la Sainte-Eucharistie
Ces prêtres qui montent éternellement élevant l'hostie
L'avion se pose enfin sans refermer les ailes
Le ciel s'emplit alors de millions d'hirondelles
À tire-d'aile viennent les corbeaux les faucons les hiboux
D'Afrique arrivent les ibis les flamants les marabouts
L'oiseau Roc célébré par les conteurs et les poètes
Plane tenant dans les serres le crâne d'Adam la première tête
L'aigle fond de l'horizon en poussant un grand cri
Et d'Amérique vient le petit colibri
De Chine sont venus les pihis longs et souples
Qui n'ont qu'une seule aile et qui volent par couples
Puis voici la colombe esprit immaculé
Qu'escortent l'oiseau-lyre et le paon ocellé
Le phénix ce bûcher qui soi-même s'engendre
Un instant voile tout de son ardente cendre
Les sirènes laissant les périlleux détroits
Arrivent en chantant bellement toutes trois
Et tous aigle phénix et pihis de la Chine
Fraternisent avec la volante machine ».

 

Falk van Gaver

 

 

 

À LIRE :

  Alain Vircondelet, Dans les pas de Saint-Exupéry, L’Œuvre,  2010, 160 p.

  Jules Roy, Passion et mort de Saint-Exupéry, Gallimard, 1951.