mercredi, 20 septembre 2006
La presse Littéraire N° 7
Nous reproduisons la recension de Giorgio Cavalcanti, parue dans le N°7 de La presse Littéraire, l'excellente revue de Joseph Vebret ( On pourra consulter le sommaire complet sur son site personnel ). Ce dernier numéro est remarquable avec, en particulier un texte, d'une noble tendresse, de Sarah Vajda sur "Pierre-Guillaume de Roux, Fils de Protée".
UN MANIFESTE POUR L’ESPRIT
par Giorgio Cavalcanti
“ Écrire et lire, c’est être livré à soi-même corps et âme.
Mais soi-même n’est pas le lecteur, et il n’est pas l’auteur : il est leur conjonction.”
(Alain Santacreu)
Mais soi-même n’est pas le lecteur, et il n’est pas l’auteur : il est leur conjonction.”
(Alain Santacreu)
Au contraire de la plupart des manifestes qui annoncent des oeuvres ( qui souvent ne viennent jamais ou paraissent quelque peu dérisoires au regard des ambitions proclamées ), La Contrelittérature, un manifeste pour l’esprit, édité récemment au Rocher, succède à un corpus d’écrits poétiques, métaphysiques ou romanesques publiés par les principaux collaborateurs de la revue éponyme dont le dix-huitième numéro vient de paraître.
Que la “suite à donner” à ce Manifeste soit déjà, pour une part, réalisée ( notamment dans les écrits romanesques et philosophiques d’Alain Santacreu, les essais et les chroniques de Philippe Barthelet, l’oeuvre poétique et métaphysique de Luc-Olivier d’Algange, les essais sur la héraldique de David Gattegno, les traités de musicologie de Jacques Viret, les études théologiques de Jérôme Rousse-Lacordaire ) démontre l’efficience et la pertinence de cette “ logique contraire ”, de ce contre-courant qui, au lieu d’aller au fil de l’eau, comme le chien mort qu’évoquait Léon Bloy, tente de remonter vers la source du Logos et d’une certaine conscience européenne de l’être.
Joseph de Maistre préconisait “ non une révolution contraire mais le contraire de la révolution”, les auteurs de ce Manifeste pour l’esprit montrent que, loin d’être spécieuse, la distinction maistrienne est fondatrice. La Contrelittérature est déjà ce qu’elle veut devenir : non un nihilisme contraire mais le contraire du nihilisme, non une négation contraire mais le contraire d’un négation.
La profondeur du “contre” dans le mot “contrelittérature” serait ainsi, pour reprendre la formule de Luc-Olivier d’Algange, la profondeur de “ la crypte du Temple détruit ”. Contre les utopies modernistes de la table rase, ce Manifeste défend une certaine idée de la tradition, mais cette tradition n’est pas un attachement muséologique au passé, une réction au temps qu’il fait ou au temps qui passe ; moins encore une nostalgie ou une volonté restauratrice. Cette tradition n’est pas un désir de fuir le “ bel aujourd’hui ” mais bien de l’éployer, selon la logique musicale du tradere, autrement dit selon les éclats de la rivière enchantée qui file à travers les paysages du temps, entre les rochers, en éclairant l’envers des feuilles… Cette tradition est précisément ce qui passe à travers le temps, et non la perpétuation d’un état antérieur du temps. Ce qui passe, ce qui scintille, ce qui donne à l’aujourd’hui sa beauté, qui est de tous les temps et d’aucun : cette Sophia perennis qui est la seul “ contraire ” que l’on puisse opposer au fondamentalisme, en échappant à la tentation d’inventer un fondamentalisme contraire !
D’où la place importante que la revue Contrelittérature accorde à l’ “avant-garde” littéraire ou artistique, c’est-à-dire à la fine pointe des audaces traditionnelles, à travers les oeuvres d’Ezra Pound, d’Andréi Biély, de Malcolm de Chazal, d’Arvo Pärt ou de Dominique de Roux.
S’opposer, mais selon la définition balzacienne ( “J’appartiens à ce parti d’opposition qui se nomme la vie” ) ou, plus exactement, résister à cette restriction de l’être qui procède du raccourcissement procustéen, retrouver donc, contre le nihilisme, contre le fondamentalisme, contre le ressentiment, le resplendissement de la présence de l’être, sa pure présence, son ensoleillement intérieur, son avers et son envers, sa surface et sa profondeur, sa lettre, comme “ tracé de lumière ” et sa vérité intérieure, ésotérique. C’est par ce chemin périlleux, sur le fil du rasoir, que le dessein contrelittéraire semble dépasser l’opposition, aussi schématique qu’artificieuse, entre réactionnaires et progressistes, prenant le beau risque de déplaire aux uns comme aux autres, non sans nous offrir de nouveaux espaces pour éprouver nos audaces, nos libertés, nos fidélités, selon les exigences impondérables du Verbe : “ Pour les gens de l’Être, écrit Alain Santacreu, la Parole est la racine du monde, l’Alpha et l’Oméga des êtres et des choses. Ils croient en une dimension eschatologique du langage : ils sont le petit reste qui s’ouvre à l’oeuvre du Logos qui doit venir en consolateur, en défenseur en justicier. Les gens de l’Être sont les sujets du Verbe”.
Giorgio Cavalcanti
Dans toutes les librairies, FNAC et les principales librairies internautiques.
Alain Santacreu
La Contrelittérature, un manifeste pour l’esprit
Le Rocher, 2005
234 pages, 19,90 €
( avec un avant-dire de Philippe Barthelet et les contributions de Luc-Olivier d’Algange, Marikka Devoucoux, Daniel Facérias, David Gattegno, Christian Rangdreul, Jérôme Rousse-Lacordaire, Jacques Viret ).
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