jeudi, 04 octobre 2007
Passion ou la mort d'Alissa
Publié par les excellentes éditions fédérop en février 2006, Passion ou la mort d'Alissa d'Emilia Dvorianova fait partie des livres nominés pour le prestigieux prix italien STREGA de littérature étrangère 2007. On lira ci-dessous le compte-rendu d'Alain Santacreu.
éditions fédérop, 264 pages, 18 €
Le « roman du huitième jour » que prophétisa Raymond Abellio nous arrive de l’Est. Passion ou la mort d’Alissa, de la bulgare Emilia Dvorianova, est un de ces livres dont il faut parler par nécessité, comme pour rappeler au lecteur un livre qu’il n’aurait pas lu mais dont on voudrait qu’il se souvienne. En parler humblement, comme pour rendre au lecteur la place qui lui revient et susciter en lui le souvenir de la grande lecture. En parler contre ce puits de silence dans lequel la critique a plongé la traduction française d’une oeuvre qui s’était vue décernée en Bulgarie le Prix du meilleur roman 1996.
L’auteur, née en 1958, après avoir suivi des études de piano, a soutenu une thèse de doctorat de philosophie sur « L’essence esthétique du christianisme » et enseigne aujourd’hui à la Nouvelle Université bulgare de Sofia.
Un meurtre a lieu un Vendredi saint : Alissa est tuée. Arrivé sur les lieux du crime, le juge d’instruction, X, écoute les dépositions des témoins. Celles de Yo et de Sebastian, dont les voix contrapunctiques retentissent directement dans le texte, tandis que les aveux complets et spontanés d’Yossif, l’assassin, sont passés sous silence, comme effacés, la voix du meurtrier n’intervenant pas dans le récit .
« L’esprit souffle où il veut ; tu entends sa voix mais tu ne sais pas d’où il vient, ni où il va. Ainsi est tout homme qui est né de l’esprit » (Jean, 3, 8) Le mouvement de l’esprit est la fugue et c’est le rythme de l’écriture d’Emilia Dvorianova que nous retransmet la magistrale traduction de Marie Vrinat. Dans le roman, l’enquête du juge instructeur qui ne cesse de s’interroger « Qu’est-ce qu’une fugue ? » est une allégorie de la quête de l’esprit. Or, l’esprit a été donné aux hommes par la Passion du Christ à travers sa mort. Désigné par la lettre grecque X, initiale de Christos, le juge d’instruction revit la Passion à travers la mort d’Alissa. Ce nom d’Alissa qui renvoie lui même au Christ, appelé "Issa" en arabe, tandis que "Al" signifie « Seigneur ». On devine la dimension onomastique des personnages romanesques. Yo et Sebastian nous orientent vers Johann Sebastian, le prénom de Bach, le compositeur de cet Art de la Fugue qui est le contre-sujet du roman. Tandis qu’Yossif, le meurtrier, porte le prénom de Staline, de son vrai nom Yossif Vissorionovitch Djougashvili.
L’Art de la Fugue de Bach (en allemand : die Kunst der Fuge) est considéré comme le testament du compositeur, mort en 1750. La partition, publiée à titre posthume par un de ses fils, Carl Philipp Emanuel, est inachevée et s’interrompt sur cette phrase écrite par son fils : « Sur cette fugue où le nom de BACH est utilisé en contre-sujet, est mort l’auteur ». Ainsi L'Art de la Fugue s’arrête au contrepoint 18 sur les notes B-A-C-H (si-la-do-si, selon le système allemand de transcription des notes). La mort d’Alissa est-elle survenue à l’instant où retentissaient ses notes ?
Dans le roman, la fugue se réalise à partir de deux mouvements contraires, deux forces – Staline versus Bach – symbolisées par les jouets en plastique fabriqués par Yossif ( corps engendrés par l’homme) qui sont une contrefaçon des statuettes sacrées ( corps sanctifiés par l’Esprit) : « … oh, Seigneur, je ne veux pas être un jouet créé par la main de l’homme, je veux au moins être un Corps créé par Toi… » supplie Alissa. On retrouve ici l’influence du symbolisme authentique qui fut le sôcle de la première avant-garde artistique, celle de la révolution inconnue et trahie par l’imposture bolchévique.
Goethe a pu écrire à propos des oeuvres de Bach qu’elles étaient des « entretiens de Dieu avec lui-même, juste avant la Création ». Juste avant le création, c’est-à-dire quand le Père dit la Passion du Fils... Ce roman d'Emilia Dvorianova, composé comme une fugue à trois voix, est une allégorie du Grand Œuvre. Chesterton, dans A defense of Nonsense, affirme que toujours la grande littérature fut allégorique : « Every great literature has always been allegorical ». Il s’agit de cette allégorie de l’âme en quête de son Dieu que l’on retrouve dans Passion ou la mort d’Alissa, un merveilleux miroir romanesque de L’Art de la Fugue.
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