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vendredi, 14 mai 2010

Politique de la jouissance (I)

 

par Jean-Louis Bolte

 

 

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« Il est doux, au milieu du renversement général,

de pressentir le plan de la divinité ».

Joseph de Maistre

 

 

 

L'être est cloué sur une croix.

Au tout début, l'être est cruciforme, il est aux quatre coins. Ce n'est pas qu'il joue aux quatre coins. C'est de structure, il se déploie aux quatre coins. Dans une perspective univoque, il dit l'être de Dieu aussi bien que celui de sa créature, et il dit l'être de la substance aussi bien que celui des accidents. De son fond il est donc tiré aux quatre coins.

Mais vu sous un autre angle, c'est spécial : il est tiré aux quatre coins par ses états-limites, il est cloué sur une croix.

Sur la branche descendante de sa croix, il plonge dans un égout. Dans un affreux cloaque - dans une atroce méchanceté, vraiment. Là, il est sur le mode de ce qui n'est pas, et son nom est jouissance

Sur la branche de droite, il sera aujourd'hui même avec Lui au Paradis et là l'être est sur le mode de ce qui vient. Prophétique et renversant, il se nomme événement.

Sur la branche de gauche, il crie, il gesticule, il renie - mais cela aurait pu, cela pourrait encore, être autrement : il aurait pu, il peut encore, se soumettre et bénir, gémir et accepter. C'est l'être qui est sur le mode de la différence, c'est-à-dire qui n'est ni être ni non-être. Celui qu'on nomme individué. Ou plus exactement : en voie d'individuation.

Sur la branche qui monte, il est l'être infini. Il se nomme infini. Et voilà ce que métaphysiquement nous pouvons savoir de l'être actuel. Le reste est révélation.

Car ce que l'être taisait, c'est que depuis longtemps il était cloué sur une croix. Et qu'à la fin, là où il dit : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit », il se nomme Jésus. Il se présente comme Autre.

En effet, l'Autre n'est pas localisé dans l'être, c'est l'être qui est localisé dans l'Autre.

Plus précisément : l'Autre localise l'être. Il le rend local.

Autrement dit, l'Autre brise notre enfermement dans l'être.

Ou encore : l'Autre à la fin déjoue la conspiration contre l'être.

Par sa croix.

 

§§§

 

 

I. la conspiration contre l'être

 

À propos de la politique de la jouissance

 

Que l'être soit soumis à des états-limites est plus ou moins naturel. Il faut considérer en effet que l'état de nature dans lequel nous vivons est un état de nature blessé. Au niveau de la nature humaine, cette blessure s'appelle jouissance. Mais cette blessure n'est pas elle-même naturelle, nous savons par voie révélée qu'elle est étrangère à la nature, et même qu'elle lui a été infligée. De sorte que la définition de la jouissance comporte qu'elle est sur le mode du n'être pas. Elle contrevient par définition au principe de contradiction.

Du point de vue métaphysique, la jouissance est maladie du principe de contradiction.

Autrement dit, la jouissance est inconsistante. Ses moyens sont négatifs et ses effets aussi. Elle procède par privation, par dérégulation de la loi naturelle, et à la fin elle contredit l'être. Elle arraisonne l'être, le domestique, tente de le clore sur lui-même. L'issue fatale de ces menées est à la fin horreur : en détricotant l'être, en le désorientant, ou pire, à la manière postmoderne de notre monde des frères (mais sans père), qui est le monde terminal dans lequel nous vivons, en cherchant à le refabriquer, la jouissance ne produit que souffrance.

Le tricot de l'être est nature. L'orientation de l'être s'appelle nature, et la jouissance, en tant qu'état-limite de l'être malmène la nature, aussi bien la nature humaine que la nature physique. Elle s'acharne à la déconstruire pour, à la fin, prendre le chemin de la pire des destructions. Ceci fait le fond de ce qu'il convient de nommer « politique de la jouissance ». Certes, cette politique semble, c'est son apparence, vouloir édifier ce que l'on a appelé le « village global », semble construire le monde des frères (mais sans père), mais derrière la promotion des semblants flambe avec rage la destruction.

Car la jouissance ne manque pas de logique et sa logique, comme l'a très bien définie Sade, est logique de « la seconde mort ». C'est là sa seule vérité. Vérité dont le dernier mot est : enfer.

Dans le monde des frères (mais sans père), nous sommes à l'heure de la fin des temps de la jouissance. La conspiration contre l'être s'est généralisée et a lancé son ultime offensive. Or, en quoi consiste cette conspiration ? À plier l'être à devenir sa propre prison. Et de fait, l'enfermement dans l'étant qui nous est fraternitairement imposé a rendu le monde irrespirable. À mesure que la politique de la jouissance se construit comme totalité, comme emprisonnement dans l'Un, à mesure que le monde des frères (mais sans père) progresse dans son unification mondiale, dans sa politique de construction/déconstruction d'un Un voulant se faire aussi gros que le Tout, au gré des visées de la jouissance, nous suffoquons non pas du fait de l'être, mais parce que l'être en nous suffoque sur sa croix.

Car voici : le but de la politique de la jouissance, c'est le contrôle. Et le contrôle est ce qui fonde les jouissances silencieuses qui accablent nos journées.

 

L'être de Heidegger à Gilson

 

Que dans le monde des frères (mais sans père), se noue une conspiration contre l'être, il suffit qu'en soit énoncée la formule, pour qu'aussitôt on en éprouve le rayonnement de vérité. Pour  saisir toute la portée de celle-ci, il n'est pas sans intérêt d'en revenir à la critique que Gilson fait de Heidegger dans Les Constantes philosophiques de l'être[1]. Critique qu'on peut résumer en trois points : d'abord Gilson souligne toute la profondeur métaphysique de l'apport de Heidegger, puis il va repérer deux erreurs commises : une erreur historique, en vérité secondaire, et une erreur métaphysique, qui, elle, est véritablement décisive.

Gilson reconnaît d'abord que Heidegger a raison de distinguer le Sein du Seiende. En effet, l'être est étant et il est aussi ayant l'être. À la fois ens et habens esse. Il faut donc distinguer l'ens (étant) de l'esse (être) qu'il « porte » (ou comporte). Et de là reconnaître qu'il y a oubli de l'être, c'est-à-dire que l'être est oublié au profit de l'étant. Gilson a d'autant moins de mal à reconnaître ce thème chez Heidegger que, d'une certaine manière, il rejoint la thèse centrale de L'Etre et L'Essence[2], que Gilson, certes, publie en 1948, mais qu'il portait en lui dès les années 20[3].

Par contre, dit Gilson, il n'est absolument pas exact de dire, comme l'a fait Heidegger, que l'Occident a oublié l'être à force d'étant. C'est une contre-vérité historique. En effet, comme le rappelle Gilson, un philosophe au moins a su parfaitement distinguer l'être et l'étant, sans oublier une seconde que l'étant (ens) est porteur d'être (esse). Ce philosophe c'est saint Thomas - saint Thomas qui a d'autant moins oublié l'être de l'étant que, par la grâce de l'analogie, il l'a identifié à Dieu.

L'explication de Gilson est tout à fait simple, et limpide - comme toujours avec lui : Heidegger a cru faire une découverte en distinguant le Sein du Seiende, c'est-à-dire en distinguant l'être et l'étant, mais cette découverte n'est en fait qu'une redécouverte déjà faite au XIIIe siècle par au moins un philosophe, saint Thomas.

Et là, Gilson va pousser sa critique de Heidegger au-delà du simple reproche d'une erreur historique : il va montrer quelle erreur métaphysique il commet dans sa façon de penser l'esse, plutôt proche des doctrines qui, tout en distinguant l'être de l'étant, le pensent au mieux comme cause de ce qui est, et comment malgré notre proximité avec lui lorsqu'il affirme qu'il y a oubli de l'être « à force d'étant », nous ne pouvons le suivre sur ce point.

« Ce qui empêche Heidegger de voir [toute l'ampleur du problème], c'est que la transcendance absolue de l'être sur l'étant n'apparaît pleinement, dans la métaphysique de l'esse, qu'au moment où, théologisant à fond la notion d'être, elle la transcende elle-même pour l'identifier à Dieu. La pensée se trouve alors en présence d'un esse pur, et même d'un super-esse, dont on peut dire, au choix, soit, avec Avicenne, qu'il n'a pas de quiddité, soit, avec Thomas, qu'il est à lui-même sa propre quiddité, mais que, de toute façon elle doit s'efforcer de concevoir comme un pur esse. »

Ainsi non seulement il y a « oubli » de l'être, mais cet « oubli » est au-delà de l'oubli, puisque cet être oublié, ce pur esse, par la grâce de l'analogie, se révèle être l'Esse, c'est-à-dire Dieu.

De sorte que, interprété l'oubli, celui-ci fait signe de ce qu'il refoule : une conspiration contre l'être. Et plus précisément contre l'Etre.

 

La conspiration contre l'être

 

Si l'esse, en effet, est la première trace, et même le premier nom de Dieu, loin de pouvoir dire que l'homme est le berger de l'être, nous devons soutenir à l'inverse que l'être est le berger de l'homme. Et c'est bien le cas, lorsque l'Être se révèle lui-même comme le bon berger.

Un berger crucifié. Où l'on voit que la conspiration contre l'être va jusqu'à sa crucifixion.

En quoi peut alors consister cette conspiration contre l'être ? Précisément à enfermer l'étant en lui-même, et pour ainsi dire à lui faire adopter une logique de l'Un - ce qui ne se peut qu'en le séparant de l'être qu'il possède, ou plutôt qu'il porte en lui.

L'ens est habens esse, l'étant est ayant être, et en tant que tel l'étant porte l'être en lui. Gilson a appelé essentialisme le mouvement qui consiste à refouler l'être de l'étant. Mais ce mouvement, ce refoulement, n'est pas simple oubli. Car l'être en tant qu'être persiste à subsister, et seule une grande violence peut prétendre, quoique tout au plus prétendre, à l'éradiquer. Cela nécessite calcul et même machination.

La conspiration contre l'être œuvre à séparer l'être de l'étant, elle œuvre à tuer l'être, à le tuer dans l'œuf, à l'étouffer dans l'œuf. Loin de chercher l'oubli, la conspiration contre l'être vise la forclusion. La forclusion est pire que l'oubli, car l'oubli laisse des traces, on peut lever l'oubli et se souvenir, au moins confusément, comme a fait Heidegger. La forclusion est pire que l'oubli : la forclusion est oubli-à-jamais. Elle signifie que l'heure de l'être n'est plus et ne sera jamais plus.

Mais l'être, crucifié, résiste. Sur sa croix il résiste : à l'oubli et à la forclusion, à la conspiration. L'être est indestructible. Le mal peut l'abîmer, le déformer, le priver à l'envi, le battre et le torturer, et même le tuer. L'être resurgit de l'oubli et même de la mort.

L'être, même forclos, et chassé par la porte, revient par la fenêtre. Rejeté du langage, il fait retour par le réel. Et lorsqu'il resurgit, il resurgit comme Autre. C'est lorsqu'il dit « Je Suis ».

À la fin, l'Autre, Je Suis, toujours, déjoue toute conspiration.

Ainsi la conspiration contre l'être est appelée à foirer. Fantasme évidemment, fantasme de conjuré, mais pour quelle jouissance ?

Certes, on peut poser, par définition, que la jouissance est ce qui, pro statu isto, ne cesse d'arracher l'étant à son être, ne cesse de pousser à la forclusion de l'esse. En elle racine toute conspiration. Mais qu'en est-il lorsqu'on plonge dans le temps ?

La question migre alors vers un nouveau terrain : puisqu'il s'agit de savoir comment se traduit la conspiration sur le plan de l'expérience de l'étant. Nous passons d'un réel de pensée à un réel mondain - réel du monde des frères (mais sans père).

Sur le plan de l'être, de l'être en tant qu'être, nous voyons bien l'écartèlement qu'il subit, cet effort séparateur qui sépare l'étant de son être, l'ens de son esse. Mais sur le plan de l'étant, de l'être concret, déployé dans son étance, expérimenté dans son étance fraternitaire, quelle forme prend la conspiration qui le vise ?

 

 

Les tribulations de l'être et de l'étant

 

À ce niveau, il faut se poser deux questions, l'une portant sur l'être et l'autre sur l'étant :

  • À propos de l'esse : comment est assuré l'achèvement de son rejet ?
  • À propos de l'étant : qu'advient-il de l'étant esseulé ?

Nous constatons que nous ne pouvons nous arrêter aux questions d'ontologie pure. La métaphysique n'a ici qu'un rôle heuristique. Elle permet tout au plus d'établir l'existence d'une conspiration contre l'être - en sorte que, à partir de là, les choses puissent se distribuer sur un plan ontique, sur le plan de l'expérience de l'étant.

En effet, ce qui sépare l'être de l'étant ne peut provenir de l'être lui-même, à ce niveau, niveau de la pensée de l'être, on ne peut que constater cet écartèlement - et en induire la conspiration contre l'être. Celle-ci prend ses racines au niveau ontique, historique, ici et maintenant dans le monde des frères (mais sans père), où agissent les états-limite de l'être, et donc ou s'active la jouissance qui, de soi, est privation d'être.

La conspiration contre l'être se spécialise alors pour se ventiler et s'exercer selon les exigences propres de deux projets distincts, discernables comme tels dans le monde des frères (mais sans père) :

  • Le bannissement de l'être d'abord, est un effort spécial pour amener l'être à sa forclusion : cette manœuvre spécifique se développe selon une logique qu'on pourrait dire reptilienne, laquelle consiste à envelopper, serrer, étouffer, avaler puis digérer. Oublier enfin - digérer même le souvenir, et jusqu'à le forclore s'il se peut. Evidemment, cet effort a commencé avec la chute, mais pour autant, ce n'est pas une banalité que de le souligner, car cet effort a aujourd'hui une actualité cruciale. « Le monde, le monde au sens johannique, dit Benoît XVI, menace l'Église ». Et c'est bien de cela qu'il s'agit : « Je Suis » est menacé, Son Corps est menacé. Le Christ et Son Eglise sont menacés.
  • D'un autre côté, l'enfermement dans l'étant[4] déploie une autre sorte d'effort. L'enfermement signifie enfermement dans l'Un. Et pas n'importe quel Un. Un « Un » qui se prend pour le Tout. Un Tout qui prétend être pur. Il ne s'agit pas tant d'unifier le multiple, de le rassembler dans une unité organique, que de construire un Tout qui enferme l'étant dans une logique de la jouissance et qui, pour ce, éradique les logiques - pratiques et principes - non conformes du multiple. D'où il vient que les règles élémentaires de la loi naturelle, aussi bien celles qui gouvernent la nature humaine que celles qui gouvernent la physis sont transgressées et étouffées : c'est à partir de là qu'on peut entrer dans les aspects concrets de la politique de la jouissance.

Dans cette perspective ontique, la jouissance apparaît comme pratique du péché volontairement dérégulé. Et plus précisément, la pratique du péché dans ses formes modernes, formes généralement conçues comme progrès dans la « construction » de l'Un.

La conspiration contre l'être se formule alors comme problème du mal. Et plus exactement problème du mal aujourd'hui, dans ses formes et dans son actualité, à l'heure de la construction de l'Un qui veut se faire aussi gros que le Tout. La question que nous nous posons n'est donc pas de savoir s'il y a ou non complot (au sens où l'on parle de théorie du complot[5]), mais de savoir quelle stratégie développe le mal, dans son style moderne et postmoderne de jouissance.

 

Au désert, l'être se révèle comme autre

 

Observons maintenant que l'être banni se réfugie au désert. Le désert est le lieu où fuit l'être oublié, ou plutôt le lieu où se tient Celui dont on n'avait jamais parlé - lieu où il réside volontiers.

Il y a l'être et il y a l'étant. L'étant, et c'est sa litanie, est un ayant être - l'ens est habens esse. L'être n'est pas l'étant, ce n'est pas pour autant que l'être est un autre étant : car, si l'être (esse) était un autre étant (ens), le monde serait fermé sur lui-même.

L'être est autre que l'étant, et en tant qu'Esse, il est même Autre. Certes, l'être ne dégage jamais cet espace de l'Autre, en tant que lieu de l'Autre être, que comme place vide, comme lieu désertique, lieu transcendantal, comme on dit, mais justement, ce désert suffit à l'être comme lieu où immanquablement il trouve le but de sa fuite.

Où pourrait se cacher l'être banni, si ce n'est au désert ?

Bien entendu, ce lieu vide de l'être, ce désert de l'étant, se présente à nous d'abord comme langage. S'il est lieu de parole, ce ne peut être encore que potentiellement. C'est pourquoi ce lieu est transcendantal, c'est-à-dire précède les données de l'expérience - alors qu'est transcendant ce qui est au-delà de toute expérience possible.

Le désert alors - et pour nous, aujourd'hui, le désert est le monde des fils - est ainsi le lieu, lieu du langage, où l'être banni peut se retrouver Autre, le lieu où nous pouvons expérimenter l'être se renversant en Autre être. Le lieu vide que l'Autre, par Soi tout à coup révélé, peut remplir de sa parole. L'Autre, en effet, s'est adressé à nous au désert, sur le Mont Sinaï, d'où il est sorti de son oubli. Les paroles de l'Autre s'y sont inscrites comme expérience prophétique, l'Autre y ayant dit : « Je Suis ».

Le prophétisme brise le bannissement de l'être, en renversant l'Esse, reclus dans sa forclusion, en Je Suis. Le prophétisme est la source d'information, source primaire, sans laquelle nous ne pourrions rien savoir de la conspiration contre l'être - sans laquelle nous ne pourrions comprendre pourquoi la perfection naturelle est blessée - sans laquelle nous ne saurions rien de la chute.

Le prophétisme contemporain, pour sa part, nous informe sur l'état des derniers développements de cette conspiration : sur la conjuration en cours contre le Christ et son Église, et sur les manœuvres de l'Un en vue de notre enfermement dans l'étant[6].

On ne s'étonnera donc pas que les amis de l'Un, à commencer par Spinoza, dans leur ivresse de jouir, se soient hâtés de classer le prophétisme comme imagination, et d'élever des monuments orgueilleux qui célèbrent à grosse caisse le déni de ce temps de silence, à nous donné, et même offert, au désert - au désert du monde des fils, où l'être (Esse) se donne à vivre comme Autre.

Au désert, la jouissance s'avère impuissante à réduire l'Être. La métaphysique ne pouvait en donner l'intuition, mais le désert, le désert réel du monde des fils, le révèle comme Autre réel, par la grâce du prophétisme. De sorte que la politique de la jouissance trouve sa limite dans les formules du prophétisme. Et si le prophétisme contemporain, en particulier le prophétisme marial, est si précieux, c'est qu'il nous dit sans détour ni équivoque la faillite de cette politique : il nous le dit par ce qu'il dit, il nous le dit par ce qu'il est.

En s'inscrivant dans l'histoire, le prophétisme y inscrit par là même la débâcle de toute politique de la jouissance. Et la conspiration contre l'être, en passant sur le plan ontique, s'y inscrit a priori comme échec. En ce sens, histoire et conspiration sont profondément liées par cette donnée réconfortante : la ruine écrite de toute conspiration.

 

§§§

(à suivre)

 

NOTES

 

[1] Les Constantes philosophiques de l'être (Vrin, 1983).

[2] Étienne Gilson, L'Être et L'Essence (Vrin, 1948).

[3] Les Constantes philosophiques de l'être, p.126.

[4] Si Heidegger refuse d'« identifier » l'être à Dieu, Lévinas, pour sa part, refuse d'« identifier » Dieu à l'être. C'est pourquoi, lorsqu'il évoque lui-même un « enfermement dans l'être » - et non un enfermement dans l'étant -, il ne peut saisir le mouvement de conspiration contre l'être. En effet, il repère le mal dans l'être lui-même, et il le nomme « le mal d'être ». Étrangement, il y a là un point de départ gnostique, comme l'a remarqué Jean-Luc Marion. Par contre, s'agissant de sortir de cet enfermement dans l'être, Lévinas se tourne vers le Dieu de la création (traditionnellement rejeté par la gnose), et redécouvre avec l'« autrement qu'être » la pensée de la création, ce que Jens Mattern qualifie étrangement de « contre-gnose ». La position métaphysique que nous défendons ici pose que l'être est « bon » en soi, et donc que la conspiration contre l'être est une réalité parasite : il n'y a pas de mal de l'être, mais un mal de l'étant, qui se nomme jouissance.

[5] Il n'est pas question d'esquiver le problème soulevé par lesdites « théories du complot », mais de localiser ce qui les rend valides, c'est-à-dire de les replacer dans un ensemble plus vaste qui situe leur pertinence.

[6] Exemple de message prophétique récent sur ce thème, ce message de Jésus, 'Rédempteur du monde ', livré à Ned Dougherty, le 1er octobre 2008 : « Lorsque j'ai marché parmi vous il y a 2000 ans, je suis venu au Temple de mon Père, lieu sacré dédié à Dieu par les saints Patriarches, pour y constater la désacralisation qu'y avait introduite les changeurs de monnaie, avec leurs péchés d'avarice et de fraude [...] J'ai eu connaissance à travers leurs activités que, dans le futur du monde, ce serait la même avarice, la même cupidité, qui s'emparerait de leurs descendants, qui grandirait et ravagerait toute l'humanité. Et qu'aux jours d'aujourd'hui de nouveaux marchands du temple tenteraient de prendre le pouvoir et le contrôle du monde et d'asservir les gens au moyen de leur argent. [...] Le Père n'a jamais voulu que quelques élites contrôlent la vie de tous les peuples du monde. »

 

 

 

Commentaires

Cher Jean-Louis Bolte
votre autre-là ne vaut pas un clou auprès de mon être en phase d'individuation
il ne fait jouir personne, c'est certain
on voit bien quel recteur H vous voulez récupérer par l'Etre
nous autres qui vivons et pensons contre les chrétiens n'en sommes plus à conspirer
nous en sommes plutôt étant là à en finir autrement avec le jugement
salut fraternel depuis le désert

Écrit par : alain jugnon | samedi, 15 mai 2010

Le beau texte de Jean-Louis BOLTE me fait souvenir de ces deux passages évangéliques: " Mais Lui [JÉSUS], passant au milieu d'eux, allait son chemin." (Lc 4, 30) " En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu'Abraham fût, Je Suis." Ils ramassèrent alors des pierres pour les lui jeter; mais Jésus se déroba et sortit du Temple." (Jn 8, 58-59).
BENOÎT XVI, dans son homélie du 11 mai dernier à Lisbonne, a déclaré : " La Résurrection du Christ nous assure qu'aucune puissance adverse ne pourra jamais détruire l'Église ! " Avis aux pourfendeurs de moulins à vent !

Écrit par : Jean-Marie MATHIEU | dimanche, 16 mai 2010

Cher ami,

Merci de m'avoir lu. À mon tour, j'ai pris soin de vous lire.

Votre réponse m'indique que nous n'employons pas le terme d'« individuation » dans le même sens. Si je vous ai bien compris, votre emploi se réfère à celui des Lumières. Et j'entends bien ce que vous me dites : l'assomption de l'individué est corrélée à l'inexistence de l'Autre. Cette phase d'individuation, elle est très classique pour ma génération (celle de 68), en particulier dans la tradition française (Bataille, Marx, Mao, etc.), et vous avez raison de dire que l'individué y trouve à se structurer sur sa jouissance. Question à préciser au demeurant.

Le sens que je prête à la notion d'« individuation » est celui de Duns Scot. Chez Scot, l'individuation est augmentation indéfinie d'existence -- et même devrais-je dire augmentation infinie. Passons sur ce détail. L'individué est en quelque sorte à rebours du moi de Lacan : vous savez que chez Lacan, du moins le premier Lacan, « le moi se pèle comme un oignon », ce qui veut dire que le Je s'y dépouille de ses masques jusqu'au rien de sa jouissance. Chez Scot, l'individué augmente son existence en augmentant son être de toujours plus de substantialité, ce qui ne se peut qu'en tendant vers l'autre jouissance. Or, il n'y a d'autre jouissance que dans l'Autre, en tant qu'il existe, et en tant qu'il se donne. Qu'est-ce que cela veut dire ?

Dans le monde des frères (mais sans père), dans lequel nous abîmons notre être -- qui est l'abîme de notre être -- l'Autre n'existe pas parce que notre jouissance l'a mis en pièce. À force de le critiquer et de l'analyser il s'est réduit à un lieu, lieu de langage plus précisément, où nous nous sommes découverts enfermés. Il ne nous est resté dans les bras qu'une chose ( c'est-à-dire tel bout du corps de l'Autre) qui d'ailleurs n'assouvit notre jouissance que de manière bornée. Mais si l'Autre n'existe pas, aucun autrui n'existe. Nous voilà seuls avec notre lourdeur et notre bêtise, c'est-à-dire notre passion de l'ignorance.

Car l'Autre, en tant qu'il existe, se donne, et à vrai dire son don excède infiniment notre perte – notre perte : je veux dire la jouissance que nous y perdons, s'il se pouvait que cette jouissance nous satisfasse. L'Autre ici, loin d'être un lieu est une personne. C'est-à-dire un visage. Je n'ai pas dit un cul, ni des seins, ni un sexe. Je n'ai pas dit un morceau de corps. J'ai dit un visage. Un visage qui s'ouvre à moi. Auquel je souris, etc. Une personne qui se donne, et donc à qui je donne. À qui je donne quoi ? Ma confiance. L'Autre existe parce que je peux lui faire confiance. Etc., etc. Toujours est-il que dans ce cas, si l'Autre existe, les autres existent aussi et le monde me devient vivable. Évidemment vous allez m'objecter que Dieu n'existe pas. Je vous ferai remarquer que de votre Dieu, celui qu'ont construit les philosophes, je n'ai rien à faire, puisque c'est une chose.

En réalité, je crois que vous ne comprenez pas bien ceci, qui fait ma position, et qui n'est certes pas évident : je parle de moment historique, de réalité historique concrète, je parle de l'avènement de l'Autre dans un monde (monde des frères, mais sans père) où l'Autre n'existe plus. Ce que j'appelle l'autre jouissance est dans le bonheur de son avènement. Ne haussez pas les épaules, à supposer que vous le faites, car cet avènement, il est pour vous autant que pour moi. C'est l'évènement qui vient. À chacun de s'y préparer.

Bien amicalement,

Jean-Louis Bolte

Écrit par : Jean-Louis Bolte | dimanche, 16 mai 2010

cher père
votre autre vous ressemble comme un fils
beau bébé que voilà
jamais connu cet autre là, pensé oui comme une idée morte
vous pouvez attendre infiniment et voir venir de loin l'autre que vous êtes, narcissisé et perdu pour le réel
vous n'avancerez pas d'un pas conscient dans l'individuation qui vous meut
ma référence est Simondon et Deleuze
nous sommes les fils de nos événements et nous sommes la terre décisive
ou Nietzsche : nous nous hissons sur nos propres épaules
c'est un fait pas un credo
cela se passe sous vos yeux
détournez le regard du miroir
il n'y a que vous dans la pièce

Écrit par : alain jugnon | dimanche, 16 mai 2010

Cher ami,
Permettez-moi de vous faire un petit cadeau. Lisez Matthieu, 7, 1-2.
Bien amicalement,
JLB

Écrit par : Jean-Louis Bolte | lundi, 17 mai 2010

merci pour le cadeau
mais je ne lis plus les histoires de mon enfance
voici mon cadeau à moi :
"Un objet transcendant de plus en plus spiritualisé, pour un champ de forces
de plus en plus immanent, de plus en plus intériorisé : telle est
l'évolution de la dette infinie - à travers le catholicisme, puis la
Réforme. L'extrême spiritualisation de l'Etat despotique, l'extrême
intériorisation du champ capitaliste définissent la mauvaise conscience.
Celle-ci n'est pas le contraire du cynisme; elle est, dans les personnes
privées, le corrélat du cynisme des personnes sociales. Tous les procédés
cyniques de la mauvaise conscience, tels que Nietzsche, puis Lawrence et
Miller, les ont analysés pour définir l'homme européen de la civilisation, -
la haine contre la vie, contre tout ce qui est libre, qui passe et qui
coule; l'universelle effusion de l'instinct de mort - la dépression, la
culpabilité utilisée comme moyen de contagion, le baiser du vampire :
n'as-tu pas honte d'être heureux ? prends mon exemple, je ne te lâcherai pas
avant que tu ne dises aussi "c'est ma faute", ô l'ignoble contagion des
dépressifs, la névrose comme seule maladie, qui consiste à rendre les autres
malades, - la structure permissive : que je puisse tromper, voler, égorger,
tuer ! mais au nom de l'ordre social, et que papa-maman soient fiers de
moi, - la double direction donnée au ressentiment, retournement contre soi
et projection contre l'autre : le père est mort, c'est ma faute, qui l'a tué
? c'est ta faute, c'est le juif, l'Arabe, le Chinois, toutes les ressources
du racisme et de la ségrégation, - l'abject désir d'être aimé, le
pleurnichement de ne pas l'être assez, de ne pas être "compris", en même
temps que la réduction de la sexualité au "sale petit secret", toute cette
psychologie du prêtre, - il n'y a pas un seul de ces procédés qui ne trouve
dans l'Oedipe sa terre nourricière et son aliment. Pas un seul de ces
procédés non plus qui ne serve et ne se développe dans la psychanalyse :
celle-ci comme nouvel avatar de l'"idéal ascétique". Encore une fois, ce
n'est pas la psychanalyse qui invente Oedipe : elle lui donne seulement une
dernière territorialité, le divan, comme une dernière loi, l'analyste
despote et percepteur d'argent. Mais la mère comme simulacre de
territorialité, et le père comme simulacre de loi despotique, avec le moi
coupé, clivé, castré, sont les produits du capitalisme en tant qu'il monte
une opération qui n'a pas d'équivalent dans les autres formations sociales."
Gilles Deleuze, L'anti-Oedipe, p 320

Écrit par : alain jugnon | lundi, 17 mai 2010

Mon cher Jugnon, vous êtes complètement hors-sujet !

Écrit par : Alain Santacreu | mercredi, 26 mai 2010

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